Avez-vous réalisé combien la représentation explicite de la violence dans l’art d’aujourd’hui est devenue minoritaire ? Précisons le propos pour lever tout de suite les objections.
L’interrogation porte sur la représentation de la violence et non pas sur les moyens et techniques souvent rudes et âpres utilisés dans l’art d’aujourd’hui.
Il faut également mettre à part les vidéos d’artistes, dont le sujet est parfois violent. On y reviendra. Il suffit d’arpenter les salles du Louvre et de compter le nombre de crucifixions du Christ, de martyres de saints ou de batailles militaires pour réaliser que l’iconographie ancienne était autrement plus féroce. Même les tympans des églises arborent des jugements derniers saisissants d’effroi. L’exposition d’Orsay sur la représentation des crimes et de leurs châtiments, principalement au XIXe siècle, ne peut que confirmer le contraste avec aujourd’hui, même s’il faut évidemment se méfier des effets de loupe.
Ce n’est pas que le monde, du moins occidental, soit moins violent aujourd’hui. À mesure que la violence physique contre les individus diminue, nous sommes devenus plus sensibles à d’autres formes d’agressions : sociales, psychologiques ou écologiques. Il n’y a pas non plus un retrait des artistes, toujours grands témoins de ce monde. L’explication est vraisemblablement à trouver dans la multiplication des images « mécaniques », photo, cinéma, vidéo, produites et diffusées en masse. Pendant longtemps, les artistes ont disposé d’une forme de monopole sur la création des images, avant que les journalistes ne s’emparent de ces images mécaniques.
Eux-mêmes étant récemment concurrencés par n’importe quel individu pouvant filmer la réalité de son téléphone portable et la diffuser sur YouTube.
À moins d’utiliser la vidéo, les moyens de création se trouvent dès lors fortement limités. Comment aujourd’hui attirer le regard et frapper les esprits avec un tableau de chevalet ou une installation ? Comment créer un effet de réel face au robinet des images télévisuelles ? Le salut passe pour beaucoup dans l’implicite.
Il ne s’agit plus de montrer littéralement une scène de violence, mais de la suggérer et d’en appeler ainsi à l’imaginaire du regardeur. La force de l’imaginaire est naturellement plus efficace qu’une description. Il y a bien sûr de nombreuses exceptions à cela, j’ai ainsi en tête une installation à la fondation Salomon d’Olivier Blanckart restituant le drame de cet enfant palestinien tué par des soldats israéliens (Stairway to H.), ou encore celle de Kader Attia à la Biennale de Lyon (Flying Rats) dans laquelle des enfants de paille sont dévorés par de véritables pigeons.
Ce numéro de L’œil n’est pas le plus optimiste de l’année, d’autant que d’autres sujets, l’Exécution de lady Jane Grey par Delaroche ou les chairs maltraitées de Lucian Freud, n’invitent pas à l’apaisement comme un paysage impressionniste. Mais il y a une esthétique complaisante de la violence qui invite à la réflexion personnelle.
Éditeur et rédacteur en chef (jchrisc@artclair.com)
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Violence figurée et violence suggérée
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°623 du 1 avril 2010, avec le titre suivant : Violence figurée et violence suggérée