Exposition

La société s’invite dans Les expositions

Par Olivier Celik · L'ŒIL

Le 27 décembre 2024 - 616 mots

Ce n’est pas nouveau, mais cela prend de l’importance au fil des ans : les grandes thématiques sociétales irriguent de plus en plus les expositions, qu’elles en constituent les thématiques directes ou qu’elles s’insèrent dans le projet curatorial. Si le phénomène est né voilà plus d’une dizaine d’années – et l’on pourrait même convoquer des exemples plus anciens –, il tend à prendre une ampleur inédite en 2025. Préparer ce numéro double de L’Œil, avec le projet de conseiller les expositions à ne pas rater et de répertorier l’ensemble des événements pour que chacun puisse faire ses choix, a le mérite de faire prendre du recul sur les tendances qui forcissent.

Parmi les grands sujets de société qui traversent le monde des expositions d’art aujourd’hui, quatre se distinguent : les préoccupations liées aux communautés, celles liées au genre, celles liées aux nouvelles technologies et celles liées au dérèglement climatique.

La grande exposition « When We See Us » qui entend construire un nouveau récit décolonialisé sur l’art panafricain, conçue en Afrique du Sud par la future commissaire de la prochaine Biennale de Venise, a été présentée en Suisse, et s’apprête à s’installer au Bozar de Bruxelles. Cet impératif de réappropriation de l’Histoire inspire de la même manière l’exposition « Après la fin, cartes pour un autre avenir » présentée au Centre Pompidou-Metz. L’exposition « Caillebotte, peindre les hommes », grand succès du Musée d’Orsay qui s’achève le 19 janvier, ouvre implicitement la question de l’orientation sexuelle de l’artiste, suggérant un parallèle entre l’obsession pour le motif masculin et l’homosexualité, tout comme l’exposition voisine sur Harriet Backer qui, jusqu’au 12 janvier, offre un contrepoint, implicite lui aussi, sur l’homosexualité féminine. L’immiscion de l’intelligence artificielle dans le quotidien trouve un écho dans l’exposition importante qui se prépare au Jeu de Paume, « Le monde selon l’IA ». Les dérèglements climatiques eux aussi permettent de donner une tonalité sociétale à des expositions comme « Apocalypse » à la BNF, « Amazonies » au Musée des Confluences à Lyon ou encore « Sous la pluie, peindre, vivre et rêver » au Musée d’arts de Nantes, dans un contexte où les musées eux-mêmes sont invités à faire leur transition écologique.

Cette approche éditorialisée fait naturellement émerger un grand nombre d’expositions thématiques, au détriment des grandes monographies, même si certaines sont encore des événements incontournables purement historiques et esthétiques, comme « Cézanne au Jas de Bouffan » au Musée Granet d’Aix-en-Provence en juin. Trois raisons expliquent l’accroissement de ce phénomène. La première est – oserait-on dire – marketing : remontrer périodiquement des artistes ou des courants majeurs impose de trouver de nouveaux angles, fussent-ils parfois tirés par les cheveux, pour donner de l’attractivité aux nouvelles expositions. La seconde est intellectuelle : le regard et la sensibilité des commissaires sont aussi le reflet d’un temps, et imposent un renouvellement de l’approche. Comme l’écrivait avec autant de sérieux que de malice Jorge Luis Borges dans son Pierre Ménard, auteur du Quichotte (dans Fictions), nous sommes aussi les auteurs de ce que nous regardons. La troisième raison, enfin, est pragmatique et répond aux contraintes budgétaires des établissements : thématiser une exposition tout en rassemblant, sans impératifs, des œuvres facilement disponibles est beaucoup moins coûteux qu’organiser une rétrospective Van Gogh ou Monet, où l’on se doit de présenter à grands frais des chefs-d’œuvre attendus en les faisant venir des plus prestigieuses institutions du monde.

Plus que jamais, les musées, via leurs expositions, jouent un rôle clé dans la sensibilisation des publics aux enjeux sociétaux actuels. L’art est sans doute un vecteur efficace pour faire passer des messages ou susciter des débats. Mais c’est aussi prendre le risque d’en réduire la profondeur et la portée que de trop l’instrumentaliser. Quand l’œuvre sert un discours, elle gagne en utilité ce qu’elle perd en substance.

Thématiques

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°782 du 1 janvier 2025, avec le titre suivant : La société s’invite dans Les expositions

Tous les articles dans Opinion

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque