Qui, en France, connaît Kenneth Clark (1903-1983) ? Dans les musées britanniques, il est considéré comme l’une des figures majeures du XXe siècle et la Tate Britain lui rend un juste hommage à travers une exposition, rappelant notamment son rôle de pionnier dans un domaine où, il est vrai, notre pays n’a jamais excellé : la diffusion de l’art à la télévision.
Personnalité à multiples facettes, il a été directeur de musée (la National Gallery), collectionneur, mécène, initiateur d’un programme de commandes publiques (Henry Moore, Paul Nash, John Piper…), mais surtout créateur de la série Civilisation, diffusée en 1969 par BBC2, un « Grand Tour » visant à parfaire l’éducation, non seulement des jeunes fortunés, mais du grand public. Né dans une très riche famille écossaise, devenu Baron Clark of Saltwood, cet aristocrate avait une vocation : faire partager avec exigence l’art au plus grand nombre. Les treize épisodes connurent un immense succès car le charisme de Clark sut parfaitement répondre à la devise de la BBC « to instruct and to entertain » (instruire et distraire), difficile équation que nos chaînes publiques ont rarement su résoudre. Ils furent parmi les premiers documentaires télévisés tournés en pellicule 35 mm couleur, pour en assurer la qualité de diffusion. L’exposition de la Tate Britain a ouvert une discussion outre Manche. Le style de Clark, celui d’un sexagénaire s’adressant de manière frontale au téléspectateur serait suranné à une époque où les jeunes préfèrent naviguer Internet plutôt que de suivre patiemment de tels documentaires. Son idéologie aurait été trop marquée par les affrontements des années 1960 et la volonté de défendre une civilisation occidentale.
Certes, mais la « manière » Clark fait toujours des émules. Pour la première fois, la Tate Modern a diffusé (le 3 juin) dans plusieurs cinémas à travers toute l’Angleterre une « retransmission en direct » de son exposition « Matisse, les papiers découpés ». Un programme de 90 minutes où musiciens de jazz et danseurs accompagnaient les propos du directeur Nicholas Serota. Toucher un public qui ne pourra pas voir l’exposition, ou celui qui l’a vue et souhaite en savoir davantage de manière vivante. Dans le même but, et dans le cadre de l’exposition blockbuster qu’il présente actuellement, le British Museum diffuse un film sur les Vikings dans des salles obscures. En 2010, il avait réussi un exploit radiophonique : sélectionner cent objets de ses collections pour retracer une histoire des civilisations et la raconter sans image. Cent épisodes d’un quart d’heure diffusés à une heure de grande écoute sur BBC4 et – innovation remarquable – téléchargeables gratuitement. Qu’il s’agisse d’une œuvre d’art ou d’un objet usuel, l’explication est toujours vivante, limpide et accessible, le propos des conservateurs est enrichi par les témoignages d’artistes ou de spécialistes du monde entier. 40 millions de téléchargements ont été relevés depuis ! Ils n’ont pas tué le livre, bien au contraire. Leur succès a donné naissance à un ouvrage publié en plusieurs langues. Fort de cette audience mondiale, le directeur du British Museum, Neil MacGregor, a repris son bâton de pèlerin et enregistre une deuxième série : trente émissions pour BBC4 qui enrichiront l’exposition qu’il prépare sur l’Allemagne. Là, l’objectif n’est pas seulement d’attirer davantage de visiteurs, mais surtout d’élargir leurs connaissances, leur réflexion, de poser les termes d’un vrai débat sur l’histoire allemande, vingt-cinq ans après la réunification. « Clark is still alive » (Clark vit toujours).
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Un aristocrate de la démocratisation culturelle
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Abonnez-vous dès 1 €Kenneth Clark, jusqu’au 10 août, Tate Britain, Londres.
Germany, Memories of a nation, 18 octobre 2014-25 janvier 2015, British Museum.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°416 du 20 juin 2014, avec le titre suivant : Un aristocrate de la démocratisation culturelle