La chronique d'Emmanuel Fessy

Qui trop embrasse…

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 30 janvier 2013 - 458 mots

Quel Louvre voulons-nous ? Quel Louvre est encore possible ? Le débat mérite d’être ouvert puisqu’un nouveau président va prendre les rênes d’un établissement qui s’est transformé au point de devenir d’une complexité redoutable.

Comment recevoir de manière satisfaisante des publics si nombreux et si variés ? Comment poursuivre une vocation dite universelle ? Comment concilier une présentation encyclopédique, spécialisée, des collections avec la demande d’une contextualisation des œuvres d’art ? Même si environ la moitié de ses dépenses est assurée désormais par des recettes propres, quelle autonomie peut conserver le plus grand musée au monde sachant les liens monarchiques qui l’unissent à des contingences ou des objectifs de politique intérieure et internationale ? Les candidats à la succession d’Henri Loyrette ne devront pas seulement offrir « des compétences scientifiques », comme l’exige le décret de nomination, mais beaucoup d’imagination pour répondre à des enjeux parfois contradictoires.

Alors que les responsables du Grand Louvre espéraient 4,5 millions de visiteurs, ces derniers sont près de dix millions aujourd’hui, dont 67 % d’étrangers. Engorgement sous la Pyramide – les vertus de l’entrée unique souterraine tant vantées par les pères du Grand Louvre ! – et dans une partie du Palais puisque nombre de visiteurs se dirigent vers les « trois trésors », La Joconde, la Vénus de Milo, la Victoire de Samothrace. Une réflexion inventive sur l’accueil et la redistribution des collections s’impose, puisqu’il faut bien concilier ces visites d’un jour avec celles du Parisien qui doit pouvoir venir et revenir avec un but précis et pour un temps limité. Le musée le plus fréquenté au monde ne peut devenir dissuasif pour les habitants de sa cité comme l’est devenue la Galleria degli Uffizi pour les Florentins et heureusement pas le Metropolitan pour les New-Yorkais. Les inaugurations du département des arts de l’Islam et du Louvre Lens ont ravivé les discours sur l’universalisme du Louvre. Mais l’ouverture du premier coïncide, faute de moyens, avec la fermeture partielle du pavillon des Sessions, comme celle d’autres salles. Faut-il, du reste, dans le cadre d’une redistribution des collections conserver cette antenne des « arts premiers » alors que le Quai Branly existe ? Les arts asiatiques ont quitté les bords de la Seine pour permettre l’ouverture de Guimet. Et la Galerie du Temps à Lens prouve ce que sont les collections du Louvre et ce qu’elles n’ont pas « d’universel » puisque l’Afrique, l’Inde ou la Chine y sont absentes. Le Louvre doit être un musée ouvert sur le monde développant des coopérations scientifiques internationales, mais la vocation déclarée en 1793 vaut d’être rediscutée. Le Louvre est entré dans une nouvelle ère – Abou Dhabi devrait ouvrir en 2015 –, le bilan qualitatif de son expansion ne peut éviter la question des fondamentaux.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°384 du 1 février 2013, avec le titre suivant : Qui trop embrasse…

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