PARADOXE Rien ne sera plus jamais comme avant dans le monde d’après, a-t-on entendu dire durant le confinement. Pas si sûr en vérité, même si, en attendant, la pandémie de Covid-19 contraint les musées à réglementer leur accès jusqu’à nouvel ordre. Réservation en ligne obligatoire, horaire de visite prédéfini, port du masque pour les visiteurs de plus de 11 ans, entrée et sortie balisées, vestiaire fermé, parcours fléché, etc. Se rendre dans un musée s’apparente à un parcours du combattant, mieux vaut donc éviter d’improviser cet été. Même le Musée des beaux-arts de Lyon n’autorise l’accès à son restaurant et à sa librairie que sur réservation. Pourtant, martèle Laurence des Cars, la présidente du Musée d’Orsay, « il faut oublier ces contraintes et se dire que cela va être des conditions de visite exceptionnelles ». Voilà le paradoxe. Tandis que les musées souffrent (dans leur financement comme dans leur mission d’accueil du public), les conditions de visite ne seront jamais meilleures que cet été. Et pour cause : en plus de la désertion d’une partie des touristes étrangers (environ 75 % du public du Louvre, 60 % de celui d’Orsay et 25 % du Musée des beaux-arts de Lyon), les musées se voient imposer une jauge de visiteurs, ce qui vaut pour tous les lieux accueillant du public, comme les Frac et les centres d’art. Dans la seule nef centrale de l’ancienne gare d’Orsay, cela ne représente « pas plus d’une centaine de personnes à l’instant T », assure Laurence des Cars. Une fréquentation idéalement faible donc, exceptionnelle pour retrouver les chefs-d’œuvre du temple de l’impressionnisme, comme pour visiter la nouvelle exposition temporaire « James Tissot » que le musée n’a heureusement pas déprogrammée. Au Musée de Grenoble, cette jauge est fixée à 300 visiteurs ; elle passe à 150 personnes à La Piscine de Roubaix et 50 (soit 24 m2 par personne) au Frac Nouvelle-Aquitaine, à Bordeaux. Au Centre Pompidou, cela représente tout juste 200 personnes au même moment dans l’élégante exposition « Christo et Jeanne-Claude, Paris ! », quand le Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne Métropole limite ses visites guidées à… seulement sept personnes. « À partir du moment où les consignes sanitaires sont respectées, le visiteur accède aux conditions d’une visite privée pour le prix d’un billet standard », remarque très justement Marianne Mathieu, directrice scientifique du Musée Marmottan Monet. Dit autrement, c’est le moment ou jamais de se rendre dans les musées. Et même, soyons fous, d’aller au Louvre, le musée garantissant moins de trente minutes d’attente pour accéder aux salles. Passer dire bonjour à La Joconde dans des conditions privilégiées, qui n’en a jamais rêvé ?
OPPORTUNITÉ Par chance, la France compte des musées un peu partout sur son territoire, comme le rappelle Stéphane Bern dans l’interview qu’il nous accorde ce mois-ci. Et lorsqu’elle en manque, il y a toujours un centre d’art, un Fonds régional d’art contemporain, une fondation ou une galerie privée où voir de l’art. Encore faut-il avoir l’envie d’y aller. Sinon l’idée. Pourtant, la période pourrait être l’opportunité de toucher de nouveaux visiteurs. Le confinement a obligé les institutions à déployer des trésors d’inventivité sur Internet et les réseaux sociaux pour maintenir le lien avec leur public désœuvré, elles qui étaient en retard sur le numérique… Et quelle n’a pas été leur surprise de voir qu’elles élargissaient leur public, parlaient aux amateurs d’art comme aux familles, aux curieux égarés et aux néophytes ! Ce qu’elles n’étaient pas parvenues à faire en leurs murs, elles étaient en passe de le réussir virtuellement. Comment ? En proposant des jeux, des défis (les fameux #tussenkunstenquarantaine) et des ateliers pédagogiques en ligne, en publiant des cycles de conférences et en produisant des vidéos, en racontant des histoires sur les œuvres, les donateurs, etc. Le Musée Sainte-Croix de Poitiers a, par exemple, produit des pastilles vidéo dans lesquelles un agent présente, durant une minute, une œuvre de la collection. Le Musée Guimet à Paris a, lui, fait pénétrer les internautes dans le Saint des saints : ses réserves. Résultat, leur fréquentation numérique a littéralement explosé, jusqu’à être multipliée par dix pour le Louvre.
Aux musées, maintenant, de transformer l’essai, car le numérique, loin d’éloigner les gens de l’expérience physique de l’art, peut au contraire susciter « un besoin de venir au musée ». Pour Marie Lavandier, directrice du Louvre-Lens, « le numérique est aussi un moyen de susciter l’envie ». Elle a raison, à condition, comme c’est le cas à Lens, que la médiation soit opérationnelle ensuite. Cela tombe bien, Jean-Luc Martinez, le président du Louvre, pense que la médiation doit être au service « de la reconquête des publics », qu’elle est même « l’avenir ». C’est pourquoi il a mis en place des mini-visites guidées, gratuites et impromptues, tout l’été au Louvre. Le Musée des beaux-arts d’Orléans fait le même pari en programmant des visites thématiques de ses collections sur des thèmes dans l’air du temps : « Solitude(s) », « Liberté(s) entravé(e)s »… dans le respect, toujours, des consignes sanitaires. Et si, finalement, il y avait du monde cet été dans les musées ?
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Paradoxe / Opportunité
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°735 du 1 juillet 2020, avec le titre suivant : Paradoxe / Opportunité