Histoire de l'art

L’ultime Van Gogh ?

Par Fabien Simode · L'ŒIL

Le 31 août 2020 - 657 mots

Le confinement n’aura pas été improductif pour Wouter Van der Veen. Profitant de son isolement forcé, ce spécialiste de Vincent Van Gogh en a profité pour classer ses archives, parmi lesquelles une série de cartes postales du village d’Auvers-sur-Oise, ce « grand atelier en plein air » où décéda le peintre le 29 juillet 1890, éditées entre 1900 et 1910.

Le sujet de Racines de Van Gogh à Auvers-sur-Oise © Photo Dominique-Charles Janssens
Le sujet de Racines de Van Gogh à Auvers-sur-Oise.
© Photo Dominique-Charles Janssens

« Il devait être 10 heures du matin, et je pense que c’était fin mars. Ou début avril. Les jours et les dates ne signifiaient plus grand-chose », raconte l’historien de l’art, lorsque l’une des photographies attire son attention. La suite, l’expert la raconte dans un livre autoédité cet été et accessible en téléchargement libre : Attaqué à la racine. Enquête sur les derniers jours de Van Gogh (arthenon.com/roots). « Cette carte était à l’écran lorsque je fus interrompu dans mes efforts de classification par un appel, écrit le chercheur. La conversation s’éternisa et ma concentration en souffrit. Je regardai dans le vide, puis par la fenêtre, où je contemplai un grand arbre que je m’étais promis de transformer en bois de chauffage. Puis je m’arrêtai longuement sur la carte postale. Un petit doute naquit. J’écoutai de moins en moins mon interlocuteur. Mon regard se fixa sur quelque chose que je n’osais voir. » Avec un sens du romanesque, Wouter Van der Veen raconte ici comment il a découvert le motif et le lieu de la toile inachevée de Van Gogh : Racines d’arbres, un talus d’arbres et de souches de la rue Daubigny, situé à 150 mètres de l’auberge Ravoux où le peintre est mort.

Carte postale de la Belle Epoque qui représente un homme sur la rue Daubigny avec à à droite une partie colorisée montrant l'emplacement du sujet du tableau Racines de Van Gogh ©  Wouter van der Veen
Carte postale de la Belle Epoque qui représente un homme sur la rue Daubigny avec à à droite une partie colorisée montrant l'emplacement du sujet du tableau Racines de Van Gogh.
© Wouter van der Veen

Les lecteurs de L’Œil connaissent Wouter Van der Veen, qui a publié en 2018 un essai iconoclaste mettant à mal le mythe de l’artiste maudit pour dépeindre, preuves à l’appui, des frères Van Gogh en brillants entrepreneurs doués d’un redoutable sens des affaires (Le capital Van Gogh ou comment les frères Van Gogh ont fait mieux que Warren Buffett, Actes Sud).

Cette fois, le chercheur néerlandais fait une découverte qui permet, selon lui, de reconstituer les dernières heures de Vincent Van Gogh. Sachant que les œuvres et les documents en notre possession constituent « un gigantesque puzzle » qui ne permet pas d’établir l’exacte chronologie des derniers jours de la vie du peintre, la découverte est d’importance.

Elle l’est à plusieurs titres. D’abord, elle lève le mystère sur ces Racines d’arbres conservées au Musée Van Gogh d’Amsterdam, toile « originale » et « intrigante », tant par son format panoramique (100 x 50 cm) que par son motif (un simple talus peint frontalement, sans perspective ni profondeur, dans lequel certains ont cru voir les prémices de l’abstraction). En 2009, dans son livre Van Gogh à Auvers, Wouter Van der Veen lui-même écrivait au sujet de ce tableau : « Le motif représenté est difficile à identifier. Est-ce un sous-bois, le bord d’un chemin ou un lieu imaginaire ? Est-ce seulement un lieu ? » Avant d’ajouter : « Toutes ces questions ne trouveront sans doute jamais de réponse. » Elles semblent bien en avoir trouvé une aujourd’hui. Ensuite, elle invaliderait l’hypothèse défendue par le cinéma selon laquelle le spectaculaire Champ de blé aux corbeaux serait la dernière œuvre peinte par l’artiste. La proximité avec l’auberge Ravoux, l’état inachevé du tableau, l’éclairage du motif… confirmeraient que Racines d’arbres serait l’ultime toile sur laquelle Van Gogh travaillait l’après-midi du 27 juillet 1890, avant de retourner dans sa chambre à l’auberge, une balle dans la poitrine. Surtout, elle invaliderait la thèse du meurtre par accident de Van Gogh, défendue par la biographie de Steven Naifeh et Gregory White Smith en 2011, pour revenir à la version officielle de la tentative de suicide. « D’autant, déclarait cet été Wouter Van der Veen au Journal des Arts, que ce tableau, de par son sujet, sur lequel Van Gogh a déjà écrit par le passé qu’il est une métaphore de la lutte pour la vie, et son inachèvement, s’apparente totalement à une lettre d’adieu pictural. » Jusqu’à la prochaine preuve du contraire, bien sûr.
 

Vincent Van Gogh (1853–1890), <em>Racines d’arbres</em>, Auvers-sur-Oise, huile sur toile, 50 x 100 cm, juillet 1890 © Van Gogh Museum Amsterdam
Vincent Van Gogh (1853–1890), Racines d’arbres, Auvers-sur-Oise, huile sur toile, 50 x 100 cm, juillet 1890.
© Van Gogh Museum Amsterdam

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°736 du 1 septembre 2020, avec le titre suivant : L’ultime Van Gogh ?

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