Les Lego de... La Fratrie

Fétiche -  Leur histoire n’est pas banale et leurs sculptures encore moins. Ils fabriquent des mondes miniatures en matériaux de récup, ou de grands bas-reliefs, composés d’éléments familiers usés, en écho à la précarité de nos petites existences dans un monde où tout menace de s’écrouler. Ainsi, une de leurs dernières séries présente des compositions faussement naïves : chacune, enfermée dans un cube de Plexiglas accroché au mur, est composée d’un rocher en lévitation, comme arraché à la terre et mis en orbite, sur lequel repose un bâtiment délabré flanqué d’un arbre : vieux motel, baraques bancales, saloon abandonné, mais aussi le Musée Guggenheim de Frank Lloyd Wright, la Villa Savoye de le Corbusier ou la Maison tropicale de Prouvé, reconstitués à toute petite échelle et dans un état de décrépitude avancée. On pense à la planète du Petit Prince ou à la maison qui vole du réalisateur japonais de films d’animation Hayao Miyazaki, mais dans une version pop post-catastrophe. Humour et gravité, poésie et acidité. Soudés comme deux doigts de la main, Karim et Luc Berchiche réalisent, depuis l’âge de 3 ans, des œuvres à quatre mains. D’où leur signature commune La Fratrie. Leur objet fétiche tient dans le poing fermé que me tend Karim, l’aîné. Tel un magicien heureux de réussir son tour, il ouvre soudainement sa main et fait apparaître une brique de Lego ! Il raconte : « C’est le symbole de notre complicité artistique. Nous avons trois ans de différence et avons passé notre enfance à fabriquer, ensemble, d’incroyables cités imaginaires avec ces briques en plastique coloré, investissant au fur et à mesure les pièces de la maison, d’abord nos chambres, puis le salon, la buanderie, etc. On réalisait aussi des films d’animation, image par image, durant l’avancée de nos travaux ! L’art pour nous, c’est de continuer à jouer aux Lego. À la différence qu’aujourd’hui on paie des impôts ! » Luc, le cadet, ajoute : « Il existe désormais des clubs de monteurs de Lego et des parcs Legoland avec d’incroyables réalisations, dont un à Billund, dans le Jutland, au Danemark, où ont été inventés et fabriqués ces éléments de construction. » Et justement, de leur apprentissage sur le tas, les deux frères ont gardé l’esprit bâtisseur : « Comme Houellebecq le souligne dans son roman Sérotonine, nous pensons que le monde se divise en deux groupes d’individus : les constructeurs et les destructeurs. Et nous avons vite choisi notre camp ! » Enfants de père ouvrier algérien et de mère couturière, peintre amatrice et catholique pratiquante, les deux frères en appellent volontiers à l’hybridation culturelle. Luc rend hommage à ses géniteurs : « Nous avons eu la chance de grandir dans une ambiance favorable. Notre mère encourageait nos délires de bâtisseurs en herbe et s’extasiait devant nos réalisations baroques, qu’elles soient réalisées en Lego, en papier mâché ou en agglomérat d’objets en tout genre. Du reste, notre père accumulait plein de choses et les mettait à notre disposition. Il avait un ami ingénieur qui nous aidait à résoudre des problèmes d’équilibre pour nos élucubrations architecturales. » Mais qu’on ne s’y trompe pas : leurs montages-assemblages font passer, en douceur et mine de rien, des messages et des alertes. Karim, diplômé de Sciences Po Paris, porte un regard sans concession sur les problématiques sociétales et environnementales. Son frère, diplômé d’arts plastiques et ancien assistant à la Galerie Perrotin, circule à l’aise dans les méandres de l’art contemporain. Quoi qu’il en soit, le coffre à joujoux du duo regorge de trésors et nourrit encore leur joyeuse énergie créatrice.