Les deux grandes rétrospectives simultanées consacrées à Ingres et Bonnard illustrent à merveille les lignes de force de l’histoire de l’art. Les deux maîtres ont en commun d’avoir peint des nus féminins, en prenant le prétexte du bain. Un thème traditionnel. Mais après, tout les distingue. À l’opposition classique entre la couleur et le dessin, Bonnard ajoute la rupture de la modernité.
Alors qu’Ingres, en digne héritier de David, érige le dessin au-dessus de tout, Bonnard privilégie la couleur. Les formes du Bain Turc sont nettes et précises. Les silhouettes des multiples Nus à la baignoire sont floues et vaporeuses. Chez le premier la couleur est un accessoire du dessin, alors que chez le second c’est la couleur qui fait la forme. Et tandis qu’Ingres qui fut aussi un grand portraitiste accorde autant d’importance aux traits du visage qu’aux courbes serpentines du corps, Bonnard masque souvent le visage de Marthe dans une obscurité. Il y aurait d’ailleurs dans cet anonymat un sujet de recherche intéressant pour un psychologue.
Bonnard est né l’année même de la disparition d’Ingres, en 1867. À cette date la modernité des impressionnistes qui ouvre la voie aux avant-gardes du xxe siècle est en pleine maturation. La lumière qui était secondaire pour Ingres est le véritable sujet des nus de Bonnard. Surtout la lumière du Midi qui unifie tout dans une vapeur colorée. Et puis enfin la modernité que constitue l’intimité des sujets rompt avec l’idéal classique. Marthe dans sa baignoire est aux antipodes des baigneuses d’un Orient fantasmé. Avec son modelé parfait des chairs et sa touche imperceptible, Ingres décrit, tandis que Bonnard et sa touche rapide suggèrent. Ingres et Bonnard, deux versants de l’art, tout aussi éloquents l’un que l’autre.
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Les baigneuses d'Ingres et Bonnard
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°577 du 1 février 2006, avec le titre suivant : Les baigneuses d'Ingres et Bonnard