Le projet de loi sur les musées, présenté dans le premier numéro du Journal des Arts, suscite une émotion légitime du côté de la « société civile » : donateurs, collectionneurs, amis et même simples amateurs.
L’émotion concerne d’abord, au travers des procédures de classement des collections, les personnes morales privées créatrices et propriétaires de collections qui pensent y voir le risque d’être soumises à une véritable spoliation doublée d’un contrôle administratif tatillon. Nous ne nous étendrons pas ici sur cet aspect crucial, ne serait-ce qu’au plan psychologique, mais plutôt sur un autre, qui ne l’est pas moins : la manière dont ce projet a été conçu.
Manque de concertation
Force est de constater qu’il y a eu manque de concertation préalable avec les parties prenantes, comme en témoignent leurs réactions. Il ne faudrait pas qu’une fois encore on suspecte ou accuse des intérêts particuliers, considérés comme égoïstes, de s’opposer à l’intérêt général, seul à devoir être pris en considération. Car enfin, est-ce que l’intérêt général n’est pas de prendre en compte au mieux les divers intérêts particuliers, qui, pour être partiaux, n’en sont pas moins légitimes ?
Mais pour les entendre, il faut qu’existent des organismes représentatifs des divers groupes d’intérêts. Ils sont indispensables à une société de concertation, c’est-à-dire à une société réellement démocratique. C’est là que se pose dans les musées, la question de la présence des sociétés d’amis auprès de l’ administration. Le seul fait qu’elles ne soient pas mentionnées dans le projet de loi sur les musées est fort éloquent sur ce point. Faut-il donc s’étonner qu’elles n’aient pas été avisées qu’une nouvelle loi sur les musées était en préparation ? Pourtant, on constate, depuis plusieurs années, un grand engouement pour la vie associative et le partenariat à propos des musées. Chaque musée a son public en fonction des goûts et des intérêts des uns et des autres. Parmi celui-ci, certaines personnes qui veulent profiter davantage de leur musée de prédilection, et l’aider à enrichir ses collections comme à développer ses activités, trouvent dans la société d’amis de ce musée le lieu naturel pour cette participation.
À la variété des musées correspond une égale variété des sociétés d’amis : elles se distinguent par le nombre de leurs adhérents, tout comme par la nature ou la qualité de leurs liens avec leur musée. D’ailleurs, ce qui était hier peut être différent demain. Ce qui est certain en revanche, c’est qu’il est souhaitable, et sans doute inévitable, que les responsables d’un musée aient à établir des relations de partenariat avec un organisme qui serve de relais ou de truchement entre eux et le public du musée dont ils sont responsables.
La place des amis
Sans doute serait-il donc plus nuisible qu’utile de légiférer sur tout ce que devrait être ou ne pas être, comme sur tout ce que devrait faire ou ne pas faire une société d’amis de musées. Le besoin crée tôt ou tard la fonction. Mais les amis doivent trouver naturellement leur place dans la vie des musées. La nouvelle loi prévoit l’appel à des "personnalités qualifiées", dans certains cas, pour entendre d’autres voix que celles de l’administration des musées. Mais il s’agit toujours de personnalités désignées par l’administration. Ne faudrait-il pas aussi se donner la possibilité d’entendre des représentants du public choisis par celui-ci ? L’étonnant est qu’une telle requête puisse, à notre époque, passer pour hardie, quand on ne réclame aucun droit de décider mais seulement celui de demander, de proposer ou d’offrir ? Le projet de loi de février 1993, dans un exposé des motifs, n’affirmait-il pas : "Le principe général est celui d’une politique contractuelle".
Il est impératif de revenir à ce principe de démocratie réelle et que se généralisent des conventions de partenariat entre les associations représentatives du public et les personnes morales publiques ou privées en charge de musées. Il est un autre silence de la nouvelle loi, non moins éloquent, concernant les mécènes. Toutes les personnes privées, les associations, les fondations ou les entreprises qui veulent faire acte de mécénat, dans quelque domaine que ce soit, enrichissement des collections, restauration d’objets, de bâtiments ou de jardins, aide au développement ou la création d’activités culturelles, telles que recherches, publication, organisation de colloques, etc. – la liste n’est pas limitative – le font par intérêt pour une œuvre spécifique à laquelle elles souhaitent participer le plus activement possible. Elles sont pour les musées des "amis" pas excellence. C’est donc au sein des sociétés d’amis des musées que doit à l’évidence s’inscrire leur action.
Ne serait-il pas alors aussi souhaitable que légitime de le prévoir dans le cas d’une nouvelle loi sur les musées, quitte à ce que chaque établissement décide des modalités qui lui conviendraient ? Il ne faudrait pas oublier enfin que les musées sont faits pour le public et non le public pour les musées, comme un récent souci "d’exploitation" des musées pourrait le faire craindre.
On doit donc souhaiter que l’État exerce ses devoirs dans toute leur plénitude et que les droits du public soient également reconnus. Nul n’a le monopole du savoir, du goût ou de l’imagination. Donner le sentiment de le réserver exclusivement à quelque cléricature que ce soit serait plus absurde que choquant. Il faut donc que les sociétés d’amis de musées puissent devenir enfin un moyen pour le public de participer à la vie d’un musée. Le vouloir est légitime mais il reste à trouver les meilleurs moyens d’y parvenir. Ce serait une vraie belle ambition d’une nouvelle loi sur les musées que de le dire et d’y aider.
Lire à ce sujet, en une et en page 4, l’entretien accordé au JdA par Jacques Toubon, ministre de la Culture et de la Francophonie.
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°3 du 1 mai 1994, avec le titre suivant : Le public oublié