Le Sénat a vu revenir de l’Assemblée nationale le projet de loi sur la réforme du marché de l’art. Ce projet revient totalement transformé.
D’où la question de bon sens : une réforme du marché de l’art : dans quel but ? Pour lui rajouter un carcan ? Pour le libéraliser ? Protéger le consommateur ?
Paradoxalement, les différentes représentations professionnelles (maisons de ventes aux enchères, galeries d’art, experts, antiquaires…) et des organismes publics (ministère de la Culture, CVV…) ont travaillé parallèlement et de concert pendant deux ans pour finalement proposer un projet retenu par le Sénat dans ses grandes lignes et qui tient compte de la « directive services » de Bruxelles et de la libéralisation des marchés.
Puis, navette oblige, l’Assemblée nationale vote un projet complètement revu : par des intervenants occultes ? Des lobbyistes ? Des personnalités extérieures qui ignorent les rouages du marché de l’art ? Qu’importe ! Le projet voté bafoue deux années de travail, de concertation et de dialogue des intéressés et des personnalités choisies ou interrogées par les services du garde des Sceaux et les représentants des élus. Alors que les étrangers regardent à nouveau Paris comme une place importante et vivante sur les divers plans culturels (vente aux enchères, expositions, foires, salons, galeries d’art…), ce projet tue dans l’œuf toute évolution dynamique. Un certain nombre d’exemples en sont la preuve :
1) L’interdiction aux salariés, associés, dirigeants, actionnaires de vendre ou d’acquérir des objets dans les Sociétés des ventes volontaires dont ils sont proches. Depuis quand un actionnaire de Renault ou de Samsung a-t-il interdiction d’acquérir une voiture ou un téléviseur de la même marque ? Auriez-vous l’idée d’empêcher des actionnaires collectionneurs passionnés (célèbres ou inconnus du grand public) d’acheter un bien chez Artcurial, Piasa, Christie’s ou Sotheby’s ?
Par contre, il faut encourager la transparence : un expert ou un commissaire-priseur, qui, faute d’enchères, annoncera une nouvelle enchère à son profit peut relancer la vente en indiquant à d’autres enchérisseurs potentiels l’intérêt de l’objet.
Il y a là une première inégalité de traitement pour l’acheteur, donc le consommateur.
2) Puis arrive une deuxième inégalité de traitement en obligeant de préciser l’origine d’un bien s’il appartient à un commerçant : celui-ci peut vouloir vendre de manière anonyme. Il sera donc tenté de vendre à l’étranger de même que les professionnels étrangers éviteront la France pour vendre leurs objets.
3) Inutile de revenir sur les ventes de gré à gré qui semblent un point acquis même si certaines professions continuent un combat que je qualifierai d’arrière-garde ou absent de réalisme et de pragmatisme.
Par contre, une aberration : comment justifier que le responsable d’une Société des ventes volontaires, un commissaire-priseur ou un expert verra sa responsabilité modifiée selon que, pour le même objet, le délai de prescription sera de cinq ans à partir du jour de sa vente si celui-ci est vendu aux enchères, et de vingt ans voire plus, si celui-ci est vendu à l’amiable ? Une fois de plus, il y a inégalité de traitement évidente.
Cette facilité des ventes de gré à gré provoque encore une autre inégalité de traitement : les galeries et antiquaires ne peuvent pas organiser des ventes aux enchères dans le cadre d’une éventuelle stratégie de développement du fait des interdictions d’achat et de vente des objets qui constituent leurs stocks, alors que cette pratique est légale en Allemagne.
4) Le Conseil des ventes volontaires tel qu’il est prévu sera coupé des réalités quotidiennes professionnelles et risque de devenir une simple chambre d’enregistrement : Un simple exemple en est la suppression de représentants professionnels en activité au sein du Conseil des ventes volontaires qui est une aberration. Il n’est pas difficile de faire quitter la séance à un membre du Conseil lorsqu’il y a conflit d’intérêt, comme cela se pratique aujourd’hui. De plus, toute personne en activité est au fait des pratiques quotidiennes de sa profession, ce qui est très utile dans le cadre des discussions du Conseil.
5) Enfin, les notaires et huissiers de justice qui ont déjà le droit d’organiser des ventes aux enchères de manière exceptionnelle pourront le faire sans limite : pourquoi pas ? (l’idée étant qu’ils puissent le faire dans des localités où les Sociétés de ventes volontaires sont absentes). Mais alors, à nouveau, pourquoi une inégalité de traitement : en effet, ceux-ci pourront exercer sans formation, sans agrément, sans contrôle, sans responsabilité et sans sanction à l’encontre des Sociétés des ventes volontaires, de leurs commissaires-priseurs ou de leurs experts.
En conclusion, ce projet de loi, s’il n’est pas modifié par le Sénat, va exacerber les inégalités et va oublier complètement ou presque la protection du consommateur.
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Le parti pris de Baudoin Lebon, galeriste à Paris
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°345 du 15 avril 2011, avec le titre suivant : Le parti pris de Baudoin Lebon, galeriste à Paris