Ce jour-là, comme tous les jours, Pierre Buraglio se rend à l’atelier tôt, à la manière d’un fonctionnaire pas bohème, quelqu’un qui ne croit pas à l’inspiration, mais au travail, au temps passé dans l’atelier en attente de…
Pas bien compliqué d’y aller, il suffit de descendre les quelques marches de l’escalier de bois qui sépare l’appartement, qui fut celui de ses parents, dudit atelier, une pièce au rez-de-chaussée de ce petit immeuble que son grand-père, venu d’Italie, avait construit à Maisons-Alfort. Cela fait plusieurs années que l’artiste, qui a longtemps vécu à Paris, a décidé de ce retour aux sources, comme une façon de se décaler légèrement : pas à Paris, mais pas loin et, surtout, toujours à l’atelier, comme un lieu où vivre, un lieu où passer le temps.
Comme chaque matin, en un de ces rituels qu’il affectionne telle l’une de ces contraintes dont il a, depuis ses débuts, vers 1960, fait le moteur de son travail, Buraglio commence par allumer son ordinateur. Lire les mails reçus, répondre, c’est aussi cela, la vie d’artiste : des obligations professionnelles, des projets avortés ou poursuivis, du temps perdu qu’il faut savoir convertir en quelque chose. En répondant à un courrier sur un projet de vitrail dont il pense qu’il ne verra sans doute jamais le jour, il se souvient de cette phrase écrite il y a trente-cinq ans : « La peinture s’identifie sur ses ruines ». Dans le fond, se dit-il en se préparant à sortir, rien n’a changé… Il va chez Franck Bordas, passage du Cheval-Blanc, à la Bastille. Franck, c’est le petit-fils de Fernand Mourlot, le lithographe de Picasso, rencontré chez Gilles Aillaud vers 1980. En chemin, il prend, comme il le fait depuis le lycée, quelques notes sur ses lectures du moment, qui viendront nourrir son travail.
Aujourd’hui, c’est Claude Simon, Orion aveugle, afin de trouver dans ce texte la confirmation de ses traits. Car, chez Bordas, il s’agit de mettre la dernière main à une lithographie, Orion aveugle se dirigeant vers le soleil. Un dernier jour, où s’achève un travail long de très nombreuses journées, depuis ce choc, éprouvé à New York en 1985 devant le tableau de Nicolas Poussin. Des journées à regarder, des journées à dessiner : à dessiner d’après Poussin, comme il a dessiné d’après Cézanne, Caravage et tant d’autres encore, trouvant, dans ces hommages iconoclastes, un lieu où être peintre, à sa façon. Jours passés à accumuler, donc, les dessins, les lectures, les essais, avant, comme en une accélération finale, d’éliminer pour livrer cette œuvre épurée.
C’est donc le dernier jour : un jour unique pris entre fin et début. Demain, il faudra faire autre chose. Il arrive chez Bordas à 9 h. Travail jusqu’à midi avec Marcel, un ancien de chez Mourlot. Ambiance joyeuse et sérieuse. Pause à midi. Repas arrosé. Reprise du travail. Et là, soudain, en quelques heures, tel un jazzman connaissant son thème par cœur, Buraglio livre une ultime improvisation, noire sur calque, comme s’il n’y avait jamais rien eu avant, et peut-être plus rien après.
à la Galerie des Gobelins, Paris-13e, jusqu’au 20 janvier 2013.
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Le jour où Pierre Buraglio a donné vie à Orion aveugle
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°653 du 1 janvier 2013, avec le titre suivant : Le jour où Pierre Buraglio a donné vie à Orion aveugle