Chaque mois, Pierre Wat raconte un jour dans la vie d’un artiste, entremêlant document et fiction pour mieux donner à voir et à imaginer.
Nul ne peut prétendre être bon peintre, s’il n’est bon marcheur. Combien de fois ai-je arpenté, seul ou en bonne compagnie, ces chemins d’Île-de-France que je connais avec le cœur ? C’est à pied, à petites journées, que l’artiste doit voyager. Vous voulez dessiner le paysage ? Voyagez le moins que vous pourrez en poste ; laissez ce luxe aux riches ignorants qui courent le monde comme des malles, et qui, enfermés dans leurs voitures, ne voient le pays qu’ils traversent que comme une lanterne magique à qui leur portière sert de cadre. Les plus beaux sites échappent à leur vue ; ils ne s’arrêtent que dans les villes, lors même que la beauté se cache dans les chemins de campagne et jusque dans le bas des haies, là où personne ne se penche pour aller la ramasser. J’aime particulièrement ces lieux qui sont autant de lisières : Saint-Denis, La Chapelle, Les Buttes-Chaumont, et puis, surtout, mon cher Montmartre – plus tout à fait Paris, pas encore vraiment la campagne, mais un merveilleux entre-deux, où l’esprit peut rêver au temps qui passe tandis que l’œil se délecte d’une si sublime variété. Je suis un promeneur. On me conseille de faire ceci ou cela, de discuter avec l’un ou de plaire à l’autre. On me parle de carrière, d’envoi de tableaux au Salon qui me fit, m’explique-t-on, l’honneur de m’accueillir alors que je ne comptais pas parmi les anciens membres de feue l’Académie royale de peinture, mais tout cela me fait sourire à la façon d’un mauvais divertissement. J’affirme que celui qui ne peut peindre toute sa vie sur quatre lieues d’espace n’est qu’un maladroit qui cherche la mandragore et ne trouvera jamais que le vide. Alors je ne m’occupe pas de tous ces maîtres conseilleurs, et j’avance, crayon à la main, dessinant progressivement, dans le mouvement de la marche, ce que celle-ci me donne à voir et à vivre. Hier encore, je cheminais sur l’une de ces collines qui n’ont plus de secret pour moi, juste au-delà des coteaux montmartrois, lorsqu’un orage s’est levé. C’était une telle bénédiction d’être là ! Une récompense bien plus grande, pour celui qui pérégrine ainsi, que toutes les médailles que l’on peut recevoir au Salon. Tandis que je marchais à travers champs, dans l’une de ces zones en friche que j’affectionne, d’où l’on aperçoit au loin quelques clochers parisiens, l’orage venait vers moi. Sous cette lumière d’avant la pluie, la terre était blanche tandis que le ciel virait au noir. Tant bien que mal, je tentais de noter sur le vif tout ce que je voyais, mais la pierre noire qui ne quitte pas ma poche n’est pas, dans de tels cas, la meilleure des alliées. Alors je cessais de dessiner, et je me tins là, debout, attendant, la poitrine bien ouverte, que l’orage vienne et me traverse. Je suis certain que c’est ce que faisait mon cher Ruisdael, mon seul et véritable maître en peinture. Ce que j’ai éprouvé, pendant que la nature venait ainsi me posséder, aucun mot ne pourrait le raconter. Demain, dans la chaleur de l’atelier, je tâcherai de le peindre.
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Le Jour où… Georges Michel a peint "L’Orage"
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°711 du 1 avril 2018, avec le titre suivant : Le Jour où… Georges Michel a peint "L’Orage"