Dans un an, nous devrions découvrir la Fondation Louis Vuitton pour la création dans son pavillon de verre signé Frank Gehry [dans le jardin d’Acclimatation, à Paris].
Après Cartier, Hermès, François Pinault et d’autres, LVMH a rejoint les groupes de luxe voulant afficher avec éclat leur lien avec l’art contemporain. Politique d’image qui affirme une marque comme étant liée à la création et hisse au rang de l’art des produits commerciaux. Vivons-nous pour autant un nouvel âge du capitalisme, après l’industriel et le financier : le « capitalisme artiste (1) » ? Un âge où notre consommation serait totalement manipulée par l’émotion esthétique, où la production ne mettrait sur le marché que des articles dont l’apparence l’emporterait sur le contenu, où l’artiste serait devenu le mercenaire du capital, ses noces avec le luxe en étant la démonstration ? La formule est excessive mais renvoie à la relation qui peut unir l’utile au beau, aux questions sur la place des arts décoratifs et à celle de l’art à l’âge du capitalisme, après les travaux de William Morris, Walter Benjamin, Theodor W. Adorno…
Notre temps ne vit plus les affrontements idéologiques du siècle précédent, le capitalisme a perdu son adversaire et l’on ne discute que de sa régulation. Le présent chante l’hybridation, la porosité, quitte à brouiller les repères et les choix. Pour autant, des distinctions subsistent et méritent d’être réaffirmées. Le design doit porter sa mission originelle : s’il crée une forme, c’est pour accompagner de nouveaux usages, il ne doit pas se borner à apporter in fine une touche stylistique. Accordons encore un pouvoir de discernement au consommateur, même aliéné par la publicité. Les succès et les échecs d’Apple ne peuvent seulement s’expliquer par l’aspect de ses nouveaux produits ou celui des lieux de vente. C’est une combinaison : vendre de nouveaux services qui comblent les attentes du consommateur, dotés d’un aspect qui séduit ce dernier. À l’inverse, nombre de marques n’ont pu redresser leur déclin faute de n’avoir su tirer les conséquences des évolutions des comportements de leurs clients et d’avoir seulement modifié une apparence. Aujourd’hui, l’on doit toujours exiger beaucoup du designer, d’être moteur, par exemple, de l’« écoconception ». L’art, lui, n’a pas cette fonction utilitaire, ne répond pas systématiquement à une commande. Il est autonome sans pour autant être détaché des conditions sociales de sa création, il naît dans cette tension. Même si un artiste répond à une maison de luxe, sa proposition sera en premier lieu esthétique, l’utile sera secondaire. Il intégrera son langage à celui de la marque. Et aujourd’hui, malgré la médiatisation, l’élu appartient encore à une minorité. Sans vouloir porter le débat sur un terrain moral ou avancer des jugements élitistes, constatons néanmoins que l’évolution conduit à s’interroger sur la forme que prendra l’art alors que les groupes financiers le chérissent et parviennent à récupérer l’artiste, pas toujours à son insu.
(1) Gilles Lipovetsky et Jean Serroy, L’Esthétisation du monde. Vivre à l’âge du capitalisme artiste, éd. Gallimard, 512 p., 23,50 €.
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L’art, sauveur du capitalisme ?
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°390 du 26 avril 2013, avec le titre suivant : L’art, sauveur du capitalisme ?