Selon une étude du Crédoc réalisée à la demande de la Direction générale des patrimoines (www.credoc.fr), près de six personnes sur dix ont visité un monument, une ville ou un pays d’art et d’histoire au cours de l’année 2011. Et les enquêteurs de conclure que « le patrimoine, sous toutes ses formes, attire une population bien plus large qu’on pourrait le penser ». Reconnaissons avec eux que notre époque est tout entière tournée vers le patrimoine.
Dans son essai sur l’Inventaire général du patrimoine culturel, cet ancien service du ministère de la Culture chargé d’inventorier les richesses de la France (Mirabilia, Gallimard/NRF, mai 2012, 22 e), Michel Melot ne peut que constater ce qu’il appelle : « la vague actuelle de souci patrimonial. » Chaque jour en effet, la liste de l’Inventaire général – qui va « de la cathédrale à la petite cuillère », d’après la formule consacrée d’André Chastel – s’allonge un peu plus, faisant reculer les frontières de ce que l’on nomme le patrimoine. Ce qui en était exclu hier encore, en fait aujourd’hui partie ou le rejoindra probablement demain dans une acception du patrimoine toujours plus large.
C’est pour cette raison que le premier Inventaire général des monuments et des richesses artistiques, créé par Malraux en 1964, a été rebaptisé plus largement en 2004, à l’occasion de son transfert aux Régions : Inventaire général du patrimoine culturel. L’Unesco elle-même a dû étendre sa Convention de 1972 concernant la protection du patrimoine mondial culturel et naturel au patrimoine culturel immatériel en 2003, puis à la diversité des expressions culturelles en 2005. Dans ce contexte d’inflation patrimoniale, comment ne pas être dès lors « attiré » par le patrimoine culturel : ses forts, ses palais, ses églises, ses jardins, ses villes d’art, ses usines, ses chants traditionnels, etc. ? Cet été, nous sommes nombreux à avoir visité, en famille ou accompagnés par l’une des multiples associations de valorisation du patrimoine qui fleurissent en régions, l’un des 44 000 monuments protégés au titre des Monuments historiques.
En 2010 et 2011, nous étions, selon le ministère, 12 millions à participer aux Journées européennes du patrimoine, contre 600 000 lors du lancement de la manifestation en 1984. Et nous devrions être encore plus nombreux à nous déplacer pour la 29e édition les 15 et 16 septembre prochains. Chacun avec sa propre vision de ce que l’on peine de plus en plus à saisir : le patrimoine.
Au patrimoine mondial de l’Unesco est inscrit, depuis le 30 juin, le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais. En même temps qu’un site naturel et industriel, c’est toute l’histoire sociale de la région que l’organisation des Nations unies reconnaît. Lors de la même séance, les sites miniers belges de Wallonie ont été eux-aussi classés. Le 27 juillet, le Royaume-Uni célébrait à son tour son riche passé industriel lors de la cérémonie d’ouverture des JO. La culture industrielle qui faisait hier le malaise d’un territoire, d’une nation, fait donc aujourd’hui sa fierté. Son déclin l’entraînait hier dans la misère, il fait désormais sa richesse « culturelle » et touristique. Magie du patrimoine…
Un enjeu politique
Par deux fois, cet été, Irina Bokova, la directrice générale de l’Unesco, a appelé à mettre un terme à des destructions de sites. Le 30 juin d’abord, pour que les rebelles armés cessent de saccager les tombes sacrées de Tombouctou, au Mali, inscrites au patrimoine mondial en 1988. Un mois plus tard, l’Unesco créait un compte spécial pour la sauvegarde du patrimoine mondial malien, auquel s’était ajouté entre-temps le tombeau des Askia (inscrit en 2004). Le 27 juillet, rebelote : Mme Bokova lançait un nouvel appel en direction d’Alep (inscrite en 1986), en Syrie, menacée par des tirs de mortiers. Après la démolition des bouddhas de Bâmiyân par les talibans en 2001, les groupes armés ont compris qu’ils pouvaient prendre la communauté internationale en otage de ses émotions patrimoniales. Dur revers de la médaille.
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La vague patrimoniale
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°649 du 1 septembre 2012, avec le titre suivant : La vague patrimoniale