Après six mois d’une violente commotion, chaque domaine de l’art commence, en cette rentrée, à compter ses morts et ses blessés.
Commence, aussi, à rêver de renaissances. Car le bilan est très contrasté, suivant que l’on considère, par exemple, l’état désastreux du spectacle vivant ou, au contraire, la très perceptible euphorie qui, pour l’instant, règne dans les librairies. Suivant, aussi, que l’on expertise les symptômes à l’échelle d’un type d’art ou à celle d’un type d’institution. Ainsi le diagnostic est-il bien différent pour l’« audiovisuel » en général, qui a plutôt prospéré, que pour le cinéma en salle, qui a tout pour désespérer. On comprend déjà que, vu sous cet angle, le monde des arts plastiques va offrir un paysage dont il est difficile de dire s’il est ravagé ou labouré. Peut-être, comme toujours, un peu des deux.
Partons du principe que, contrairement aux apparences et à beaucoup de discours, cette grande famille est profondément divisée. Pas par l’esthétique, ni par les moyens d’expression, ni même par la prospérité de quelques-uns et la précarité de beaucoup d’autres, mais par cette partition public/privé qui, en France, remonte haut et s’étend en largeur. À cet égard, la crise actuelle toucherait dans de moindres proportions les institutions publiques, dont les plus fragiles sont les plus grandes, dépendantes du public étranger comme n’importe quel palace, mais qui, dans l’immédiat, peuvent espérer (peuvent rêver) que leurs subventions publiques seront sécurisées. Le marché de l’art, lui, est livré à l’état des finances comme à l’état d’esprit de son public : à croire que le plus « public » des deux n’est pas celui que l’on croit.
Les premières informations qui remontent du terrain sont, comme il fallait s’y attendre, ambiguës. D’un côté certains acteurs économiques, ruinés ou frileux, vont se retrouver durablement ou définitivement aux abonnés absents. De l’autre on discerne bien ici et là des formes de fièvre marchande, alimentée par une frustration d’amateurs trop longtemps confinés loin de leur passion. Le triangle doré galerie/foire/salle des ventes n’a pas été rayé de la carte. La vraie question est ailleurs.
Comme toutes les crises dignes de ce nom, la pandémie de 2020 aura été moins fondatrice qu’accélératrice. La numérisation du marché était en cours. Elle explose. Assurément rien ne remplacera le contact direct avec l’œuvre, mais, outre que le principe du commerce d’art en ligne est de laisser à l’acheteur la liberté de renvoyer l’œuvre après ce qu’il faut bien appeler ici de ce nom redoutable, ces temps-ci, un « test », le modèle culturel des plateformes est, à l’évidence, homologique de la grande tendance des sociétés contemporaines : l’individualisme. Libre ensuite à l’amateur ayant franchi ce premier pas de franchir le second en poussant la porte d’une galerie « en présentiel ». Et c’est là que l’on touche le fond du problème.
Amazon ne met en péril la librairie que si celle-ci se refuse à offrir ce que ce géant n’offre pas : l’accueil, le conseil, le débat – je dirais presque : la conversation, pour user d’un terme très « Siècle des lumières ». Cette insensible métamorphose des librairies en salons permet de comprendre pourquoi les galeries standard devraient continuer à être à la peine. Assurément le modèle économique de la galerie standard est de ne travailler qu’avec quelques clients sûrs et de ne pas se mettre en frais pour des péquenots de passage, au reste vite rebutés par la froideur du lieu et l’indifférence du stagiaire de garde, plus intéressé par son smartphone que par le péquenot en question. Mais il y a aussi, on l’a dit, en toutes choses un modèle culturel. Posons que l’une des grandes lois humaines est la loi de compensation. On a vu que l’individualisme produisait de la dématérialisation. Mais cette dialectique ne s’arrête pas là : pourquoi ne pas répondre à l’hégémonie du virtuel par la stimulation des innombrables techniques de « contact » ? L’amour de l’art, aussi, peut-être viral.
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La galerie et ses « personnes contacts »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°551 du 18 septembre 2020, avec le titre suivant : La galerie et ses « personnes contacts »