Politique culturelle. « Si je me retourne sur la promesse faite à 20 ans de venger ma race, je ne saurais dire si je l’ai réalisée », s’interroge Annie Ernaux dans son discours prononcé devant l’Académie suédoise.
On ne commentera pas ici les polémiques sur cette « promesse » ni les engagements pris par la nouvelle Prix Nobel de littérature, à l’œuvre remarquable. Demandons-nous plutôt si les politiques culturelles publiques ont depuis soixante ans donné les moyens aux classes sociales non bourgeoises de s’émanciper par la culture, pour reprendre le clivage de l’écrivaine. Quand Annie Ernaux se fait cette promesse en 1962, le ministère de la Culture existe depuis trois ans et la première maison de la culture vient d’ouvrir au Havre, non loin d’Yvetot (Seine-Maritime), où elle a passé son enfance.
Yvetot, précisément, qui dispose de l’une des 16 000 bibliothèques publiques offrant un accès gratuit et quasi illimité à la littérature. Grâce à ce maillage territorial, la « cherté des livres » dénoncée par Annie Ernaux n’est plus d’actualité pour beaucoup d’ouvrages. C’est l’un des nombreux acquis de la République qui n’a cessé année après année de permettre à tous d’accéder à la « haute » culture. Car il n’y a pas que les bibliothèques qui se sont multipliées, il y a désormais partout en France des conservatoires, théâtres, salles de spectacle, lieux d’exposition, musées. Tous ces équipements, au surplus très modernes, sont accessibles gratuitement aux jeunes de moins de 26 ans, et à tous dans les musées de Rouen (Seine-Maritime). Au Havre, la ville profite chaque année de son festival d’art contemporain pour enrichir l’espace public de sculptures et d’installations. Et depuis peu, tous les jeunes de France disposent l’année de leurs 18 ans d’un Pass culture de 300 euros permettant d’acheter des biens culturels.
Dans le même temps, la République a progressivement donné ses lettres de noblesse aux cultures populaires, celles de la « race » qu’évoque Annie Ernaux. Le hip-hop et le rap dominent les plateformes musicales, la break dance a envahi les festivals, le street art habille les façades d’immeuble, le stand-up et les « impros » font concurrence au théâtre de boulevard, même les « arts modestes » ont leur institution (à Sète) et l’on ne compte plus les musées d’art et traditions populaires, les centres nationaux de la marionnette et du cirque.
Pour autant, soixante ans après, les clivages se sont déplacés. Il s’agit aujourd’hui de donner accès à la culture à des jeunes des « quartiers », souvent issus de l’immigration, et de susciter l’envie de consommer une « haute » culture devenue partout accessible.
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Annie Ernaux, « J’écrirai pour venger ma race »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°601 du 16 décembre 2022, avec le titre suivant : « J’écrirai pour venger ma race »