De tous les pays européens, la France est aujourd’hui le seul à ne plus disposer d’une véritable protection de son patrimoine artistique.
Ce vieux pays de barrières et d’octrois n’avait trouvé qu’un système purement douanier, créé sous le régime de Vichy (loi dite de 1941) afin d’empêcher le pillage des collections privées françaises par les Allemands. Non sans difficultés et non sans critiques, ce système permettant la préemption d’une œuvre par l’État (au prix déclaré), ou la simple et très rare interdiction de sortie, a été maintenu jusqu’en janvier 1993, moment où a été mis en place le nouveau texte de loi, conforme aux directives de la Commission européenne de Bruxelles sur la "libre circulation des hommes et des biens".
N’ayant envisagé depuis un demi-siècle qu’une solution douanière à la protection de son patrimoine, la France se trouve aujourd’hui totalement démunie. L’Italie, l’Allemagne ou l’Espagne pratiquent le système des listes d’œuvres dont ils interdisent purement et simplement la sortie. L’Angleterre, dans sa sagesse pragmatique, a trouvé depuis longtemps des solutions libérales qui à la fois protègent les collectionneurs, et permettent aux musées, mieux dotés de fonds publics et privés, d’acquérir le cas échéant des œuvres très importantes.
Le système anglais, le meilleur
Il nous semble que dans le contexte européen, ce dernier système soit le meilleur. Son établissement devrait être une mission d’urgence du gouvernement. Conduite par une personne soucieuse de la préservation du patrimoine national et compétente dans le domaine financier, elle serait constituée d’une petite équipe "pluridisciplinaire", désireuse de soutenir le marché de l’art en France, de trouver, par des mesures fiscales appropriées, le moyen d’encourager les propriétaires de "trésors nationaux" à les conserver, et pourquoi pas, les collectionneurs à en acquérir.
Notre double souhait : protéger le patrimoine privé et enrichir les collections publiques, n’est pas contradictoire sous deux conditions. D’une part, les crédits d’acquisitions des musées devraient être considérablement augmentés. La petite centaine de millions de francs dont disposent annuellement l’ensemble des musées nationaux, – Louvre, Versailles, Orsay, Fontainebleau, Guimet, Cluny, Sèvres, etc. – est évidemment insuffisante. Pour mémoire le Musée Getty dispose, à lui seul, de sommes bien plus importantes.
Un pourcentage du Loto
Comment faire en une période d’austérité économique ? Aux financiers et aux fiscalistes de nous aider et d’avoir de l’imagination. Par exemple, pourquoi pas un pourcentage du bénéfice des jeux, type "loto", ou la création d’une taxe, d’un montant peu élevé (moins de 1 %) qui frapperait les œuvres d’art vendues ou exportées ?
D’autre part, il faut modifier la législation, et accorder aux collectionneurs d’importants avantages. Plusieurs mesures pourraient être rapidement prises. La plus efficace consisterait à dispenser de droit de succession les œuvres patrimoniales. On sait les excellents résultats d’une telle mesure en Angleterre, où elle est appliquée depuis 1945. D’autres dispositions seraient avantageuses pour tous : pourquoi ne pas encourager les compagnies d’assurances ou les banques à acquérir des œuvres qu’elles pourraient inscrire avantageusement à leurs actifs patrimoniaux ?
Rappelons qu’il ne doit s’agir que de chefs-d’œuvre, qui, dans d’autres pays européens, seraient classés ; l’on reprocherait bien évidemment plus tard à l’État et aux responsables des musées de n’avoir pas su trouver à temps les moyens équitables de les retenir en France.
Françoise Cachin et Pierre Rosenberg
Conservateurs généraux du patrimoine
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France : le patrimoine en danger !
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°5 du 1 juillet 1994, avec le titre suivant : France : le patrimoine en danger !