Discipline - Kim Jong-un regardant des chaussures, un jeu vidéo, un match de foot, l’horizon au sommet du mont Paektu ou regardant par le hublot d’un avion… Les images du dictateur nord-coréen pourraient être amusantes si les dernières en date ne le montraient pas regardant son armement nucléaire. Diffusées par l’agence de presse nord-coréenne officielle KCNA, ces photographies de propagande reprennent inlassablement la même composition : le guide suprême se tient au centre de l’image, tandis que ses sujets lui présentent un bâtiment, une machine, du fromage, des ouvriers, des enfants, etc. Bien sûr, Kim Jong-un n’a rien inventé. Il réutilise les vieilles recettes de propagande mises en place par Staline et Mao. Recettes qui furent elles-mêmes reprises par le père du dictateur Kim Jong-il. Sorti en 2012, l’ouvrage Kim Jong-il Looking at Things [éditions Jean Boîte, 24 €] compilait, à la suite d’un phénomène apparu en 2010 sur Tumblr [kimjongillookingatthings.tumblr.com], ces fameuses photos officielles en montrant leur absurdité. On y voyait Kim Jong-il, sur des clichés sans qualité, en situation de « regarder ». Regarder quoi ? Du chocolat, des fleurs, des tomates fraîches, un radis, des bottes de pluie, un kebab…, soit rien d’important puisque seule la composition, en l’espèce, compte : un chef suprême tout puissant placé au centre, photographié en légère contre-plongée pour gommer sa petite taille, entouré par ses sujets, bloc-notes à la main, prêts à consigner les paroles du Guide. Si la répétition de ces images, accompagnées dans l’ouvrage de « légendes sèches et amusantes », conférait à l’ensemble une dimension absurde et humoristique, elles ne font plus rire aujourd’hui. Destinées à asservir un peuple et à envoyer à l’Occident honni le visage du Mal, elles montrent désormais un dictateur en possession d’une arme de destruction massive dont l’un des derniers essais serait seize fois plus puissant qu’Hiroshima ! Et elles nous rappellent qu’une image doit être lue au même titre qu’un texte. Pourtant, s’interroge Pierre Wat dans nos pages, « nous avons tous admis le fait que nous devions apprendre à lire, mais qui a admis le fait que nous devions aussi apprendre à voir ? » « Nous sommes dans une société de l’image, une société où l’on croule sous les images. [Apprendre] à les décrypter pour ne pas être dupe est vraiment un enjeu démocratique. C’est presque une nécessité politique, une manière de rester vigilant », défend l’historien de l’art qui anime ce mois-ci, avec une ambition que nous partageons ici chaque mois, la deuxième saison de l’Université populaire d’histoire de l’art fondée par L’Œil et le Bal Blomet [lire p. 22]. Un enjeu « démocratique », donc, qui permettrait aux gens de décrypter les messages nord-coréens, mais aussi les meetings de Trump, le portrait présidentiel d’Emmanuel Macron et toutes les images publicitaires et d’information qui nous assaillent. L’histoire de l’art, cette « discipline humaniste » chère à Panofsky, gagnerait décidément à être plus largement Partagée.
Vivante - « Un musée qui n’accueille pas d’artiste vivant n’est pas un musée vivant. » La formule est certes définitive, mais elle est le signe, chez la nouvelle présidente des musées d’Orsay et de l’Orangerie, d’un changement de cap. Il s’agit moins, pour Laurence des Cars, d’inviter à tout prix un artiste contemporain à exposer que de convier des personnalités (écrivains, philosophes et artistes) à réagir sur les collections du musée afin de les éclairer d’un jour nouveau. Cette ambition est bien dans l’air du temps. Elle se traduit actuellement au Domaine de Chantilly par une exposition autour du chef-d’œuvre du musée, Le Massacre des Innocents de Poussin, et sa relecture par Buraglio, Alberola, Messager, Zonder… ; au Musée Delacroix, à Paris, par l’invitation lancée à Christine Angot d’apporter son regard sur la collection ; et au Musée Marmottan Monet, par la programmation de cartes blanches accordées à des artistes, bientôt inaugurée par Gérard Fromanger. De passage en France afin de présenter l’exposition « Être moderne : le MoMA à Paris », qui ouvrira à la Fondation Vuitton le 11 octobre, Glenn D. Lowry, le directeur du musée new-yorkais, a rappelé qu’« une collection n’est pas figée, mais en mouvement permanent ». « Il faut considérer, a même ajouté son conservateur Quentin Bajac, la collection du MoMA comme un organisme. Et un organisme, c’est vivant ; cela se renouvelle. » À Orsay, le vivant prend donc la forme d’un renouvellement du regard, mais aussi, assure la présidente, d’une attention qui sera davantage accordée à l’accès au musée. « L’art est un bien de première nécessité », explique Laurence des Cars, pour qui « le rapport d’Orsay aux publics doit être une priorité ». Il l’est assurément déjà pour le Musée Marmottan Monet, qui en fait la démonstration dans son exposition « Monet collectionneur ». Soit une véritable enquête policière menée dans les archives notariales et celles des ventes aux enchères afin de reconstituer la collection dispersée du maître. L’accrochage parvient à rendre vivante cette enquête, ce qui est, pour Marianne Mathieu, commissaire de l’exposition, le grand enjeu du musée. De tous les musées !
Rédacteur en chef fsimode@artclair.com
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Discipline Vivante
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°705 du 1 octobre 2017, avec le titre suivant : Discipline Vivante