Désordre
« Si on met le désordre, qu’est-ce qui se passe ? » C’est la question qu’Anish Kapoor s’est posée en arrivant à Versailles, comme il l’a confié ce mois-ci à notre collaborateur Philippe Piguet. Malheureusement pour lui, son intervention dans les jardins du palais n’était pas encore officiellement inaugurée que la réponse est tombée, aussi tranchante que le couteau de la guillotine révolutionnaire : une polémique ! En cause, l’œuvre Dirty Corner, mystérieux « entonnoir » d’acier rouillé de plusieurs tonnes déposé dans la perspective historique de Le Nôtre. Selon Le Journal du dimanche, qui a interviewé l’artiste, il s’agirait du « vagin de la reine qui prend le pouvoir ». Ce que les défenseurs du Grand Siècle ne pouvaient, bien entendu, pas tolérer (sans se demander toutefois de quelle reine il s’agit, Sir Anish Kapoor étant lui-même un sujet de Sa Majesté la reine d’Angleterre, mais passons…). L’artiste a eu beau se défendre – certes timidement – en disant qu’il avait été à la fois mal compris et mal traduit, personne ne l’a cru. Rien d’étonnant à cela quand on se souvient que l’artiste britannique d’origine indienne nous avait déjà fait pénétrer dans un immense utérus rouge au Grand Palais en 2011 (son génial Léviathan). Il ne restait alors plus à ses détracteurs qu’à rapprocher la sculpture de Kapoor d’une autre désormais bien connue de Paul McCarthy pour immédiatement déclencher l’ire des réseaux sociaux avec des commentaires du genre : « À croire qu’après le “plug anal” de McCarthy, place Vendôme, la France a décidé d’accorder aux artistes étrangers le droit de saloper les places publiques… qui seront bientôt appelées “pubic place” » (pubic signifiant en anglais « pubien »). Amis de la poésie ! C’est une nouvelle fois encore regrettable. Il aurait été plus profitable de débattre sur l’œuvre et ses qualités artistiques que de répondre à la provocation. Se demander par exemple où est la dimension d’interaction, physique ou sensorielle, entre l’œuvre et le spectateur, d’habitude si chère à Kapoor. Dimension, en revanche, bien présente dans le bassin vortex (Descension) créé par Kapoor pour Versailles, œuvre plus subtile, plus discrète aussi ; une installation fascinante qui nous invite dans les entrailles de la Terre, mais que beaucoup ne verront pas, arrêtés par la lourdeur de Dirty Corner… Mais sans doute est-ce mieux ainsi. Le vortex étant situé dans le prolongement du « vagin », certains esprits pourraient y voir un anus royal…
Remise en ordre
Une exposition peut-elle être décevante et, néanmoins, s’imposer dans le temps ? Oui, si l’on considère que l’exposition des Galeries nationales du Grand Palais en 2008 sur la « Figuration narrative (Paris 1960-1972) » ne fut pas, de l’avis général, à la hauteur des attentes : trop d’œuvres alignées dans un accrochage trop serré – cette fois encore, ce fut la faute de la reine, la Réunion des musées nationaux ayant préféré réduire les espaces consacrés à la Figuration narrative au profit de son autre exposition sur : Marie-Antoinette ! –, des individualités insuffisamment explorées, un contexte politique (Mai 68) trop rapidement brossé… Et pourtant, cette exposition distille lentement ses effets positifs. Car, depuis son dernier jour le 13 juillet 2008, la France n’en finit pas de redécouvrir les peintres de cette génération, ses peintres, à travers d’importantes expositions rétrospectives, sans oublier les monographies qui les accompagnent souvent (Télémaque aux éditions Flammarion, Jan Voss chez Hazan, etc.). Rien qu’en 2014-2015, nous avons pu nous régaler des expositions Erró à Lyon, Jacques Monory à Landerneau, Gilles Aillaud à Rennes (présentée cet été à Saint-Rémy-de-Provence), Télémaque à Paris (ce mois-ci à Marseille)… Cet été, c’est Jan Voss, autre individualité forte de cette période, que l’on redécouvre à la faveur d’une rétrospective articulée entre La Rochelle, Royan et Saint-Malo. À l’automne, ce sera au tour d’Eduardo Arroyo d’être exposé à Toulon, puis, en 2016, de Fromanger d’avoir les honneurs (après Télémaque) du Centre Pompidou à Paris. Il faut espérer qu’ils seront suivis par des monographies d’Adami, de Rancillac, de Cueco… et, pourquoi pas, par des expositions autour d’aventures parallèles, elles aussi passionnantes, comme la Coopérative de Malassis et Equipo Crónica. La preuve qu’il faut parfois du temps pour mesurer le succès d’une exposition…
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Désordre, Remise en ordre
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°681 du 1 juillet 2015, avec le titre suivant : Désordre, Remise en ordre