La déferlante des réseaux sociaux conduit le musée à devenir, malgré lui, un lieu de spectacle, où le visiteur se met en scène devant des œuvres, reléguées au second plan, où il se campe en héros d’une vie qu’il partage instantanément en photos et messages.
Perturbées par cet engouement, mais obligées de suivre le mouvement, nos institutions ne savent plus à quels saints se vouer et on peut les comprendre. Le Louvre nous invite au dialogue entre Poussin et Dieu et dans le même temps vient d’annoncer fièrement avoir ouvert des comptes sur Weibo et WeChat, les deux plateformes massivement utilisées par les Chinois (respectivement 200 et 600 millions d’abonnés) « pour renforcer son lien avec le public chinois, amateur d’histoire, de culture et de patrimoine français ». Nos musées ne doivent-ils pas à la fois préserver, étudier et développer leurs collections tout en les rendant accessibles au plus grand nombre ? Noble mission, incontestablement, mais qui devient obscure quand la hausse de la fréquentation est assignée comme objectif économique impérieux, hausse qui présuppose de séduire une jeunesse captivée par Facebook ou Instagram et qui goûte, encore plus que la précédente génération, le zapping et la satisfaction immédiate. Alors, le quantitatif, la bonne gestion, peuvent prendre le pas sur une réflexion sur le projet, ils épousent les travers des tendances du moment, négligent la question fondamentale : que peut, que veut offrir, faire partager un musée aujourd’hui ?
Le récent « progrès » de la technologie Bluetooth et son déploiement dans des zones commerciales vont offrir de nouvelles opportunités aux promoteurs de « l’interaction ». L’installation de petits capteurs iBeacon, à basse consommation et faible coût assure-t-on, permet de localiser le client, de l’informer, de le solliciter et bien sûr d’être en retour renseigné sur son comportement. Vous avez téléchargé l’application idoine et dès votre entrée dans le centre commercial, vous voilà repéré. Votre smartphone vous indiquera le rayon où se trouvent des promotions et recevra un bon de réduction. Déployée aux États-Unis déjà dans les Apple Store ou chez Macy’s, cette technologie gagne du terrain dans les grands magasins et intéresse dorénavant… les musées. À Boston, la bibliothèque Athenaeum annonce son utilisation pour l’exposition « Lafayette, une icône américaine » qu’elle ouvre ce mois-ci ; le Guggenheim, le Metropolitan Museum of Art la testeraient, selon le New York Times ; et en Europe, à Anvers, la Rubens Huis l’a mise en œuvre.
Dans un musée, votre téléphone recevrait des informations sur l’œuvre que vous regardez, textes, commentaires audio, vidéos… Vous pourriez adresser les images à vos amis, y joindre un commentaire et bien sûr les poster sur Facebook ou Twitter. Comme pour les sites internet des journaux, vos commentaires seraient diffusés en réaction aux propos officiels des commissaires et conservateurs. Pour les plus jeunes, des jeux, des quiz. À l’inverse, ces capteurs renseigneraient les institutions sur les œuvres les plus vues, celles négligées. De quoi inciter à revoir les accrochages. Le musée connaîtrait mieux son public et pourrait adresser au visiteur des messages personnalisés prenant en compte ses visites antérieures. Pour Elizabeth Baker, directrice du Boston Athenaeum, « la technologie iBeacon n’est pas un canot de sauvetage mais un pont vers la nouvelle génération des visiteurs de musées ». Certes, mais un pont qui imposerait à tout directeur d’avoir une vision claire de la mission du musée et de ses objectifs.
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Des capteurs, pour quoi faire ?
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°438 du 19 juin 2015, avec le titre suivant : Des capteurs, pour quoi faire ?