DÉCENTRALISATION, le retour ! Prononcé à l’envi par les autorités politiques,le terme vante les Centre Pompidou-Metz et mobile, le futur Louvre-Lens et bien d’autres initiatives. Dernière en date, le cycle de présentation des collections du château de Versailles au Musée des beaux-arts d’Arras dans le cadre d’un partenariat signé pour une période de dix ans entre Versailles et le Nord-Pas-de-Calais. Mais peut-on dans ce cas parler de décentralisation ? Sans aucun doute si l’on entend par là « rendre accessibles les œuvres capitales […] de la France, au plus grand nombre des Français », mission inscrite dans le décret fondateur du ministère de la Culture en 1959. Plus tout à fait en revanche si l’on considère que présenter à Arras des carrosses royaux et impériaux qui dorment autrement dans les réserves du château s’apparente davantage à de la décongestion d’une collection qu’à de la décentralisation artistique. Faut-il pour autant s’en plaindre, dans la mesure où si l’exposition « Roulez carrosses ! » – au passage superbe – donne accès à un patrimoine autrement invisible, elle lui a permis par ailleurs d’être restauré ? Non, bien sûr. Mais, en 2012, on ne peut plus se satisfaire d’une décentralisation seulement géographique. Celle-ci devrait passer par une politique culturelle ambitieuse qui fédérerait tout à la fois les écoles, les transports et les partenaires culturels locaux. Imaginez un billet à prix unique qui permettrait à un Arrageois, après qu’il aura été invité à découvrir son Musée des beaux-arts (ce qui n’est pas évident aujourd’hui), de suivre une conférence à la médiathèque municipale sur l’histoire des véhicules hippomobiles avant de sauter dans le train, direction Versailles et son château… Bref, un pass décentralisation.
DÉCENTREMENT. Ça y est, le Palais de Tokyo (Paris) a rouvert ses portes le 12 avril. Avec ses 20 000 m2 consacrés à la création actuelle, il devient le plus grand centre d’art en Europe. Si Paris renforce avec lui son capital visibilité, le Centre Pompidou risque de son côté de prendre une ride en se voyant chiper la dimension qu’il défend de « laboratoire » de la création, et en devenant un peu plus encore un musée, avec une collection qui fait sa force, mais lourd en gestion et en réactivité…
DÉSINHIBITEUR. Le nouveau Palais de Tokyo aurait pour beaucoup dû défendre exclusivement les artistes de la scène française (il compte le faire à 60 %), comme le fait le Whitney Museum pour les artistes américains, aidé de la Triennale qui, en changeant de formule, a perdu sa feuille de route précédemment confiée à feue « La force de l’art » : suivre la création en France. D’aucuns parlent de trahison quand les autres veulent éviter tout nationalisme artistique. Récemment pourtant, le film The Artist et son acteur Jean Dujardin ont montré le chemin : la reconnaissance de nos créateurs passe à l’international par la visibilité, et la visibilité par une stratégie marketing. Plus de succès sans investissement en temps, en compétences et, comme on dit, sans dépenser un minimum de radis. Dans De la visibilité (Gallimard, avril 2012, 26 euros), Nathalie Heinich explique que les États-Unis sont moins complexés que les Français quand il s’agit de produire de « la grandeur par la célébrité et, en particulier, par la visibilité ». Elle rappelle aussi combien en France le succès artistique (ou de l’esprit), quand il est visible, devient vite suspect. Pourtant, la société a changé. Pour reprendre, avec la sociologue, John Castles : les stars ne sont pas reproduites parce qu’elles sont des stars, elles sont des stars parce qu’elles sont reproduites. Reste donc à reproduire nos artistes : au Palais de Tokyo, mais aussi dans les musées, les galeries, le réseau des Instituts de France, à la télévision… à toujours plus les exposer, leurs œuvres et leur visage, en France et aux yeux du monde.
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Décentralisation, décentrement, désinhibiteur
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°646 du 1 mai 2012, avec le titre suivant : Décentralisation, décentrement, désinhibiteur