En cette rentrée, les marchands d’art sont à l’honneur.
Le Musée de l’Orangerie braque les projecteurs sur Paul Guillaume, cet autodidacte qui, à 23 ans, prend Modigliani sous son aile, lui trouve un atelier et le remet à la peinture, quand le Musée du Luxembourg, lui, s’intéresse à Gertrude Stein, interrogeant ses influences croisées avec Picasso. Ce n’est pas la première fois qu’une exposition met en lumière le rôle d’un marchand dans le succès d’un artiste. Depuis une dizaine d’années, ce thème est même régulièrement à l’affiche : « L’aventure des Stein » au Grand Palais en 2011, « Daniel-Henry Kahnweiler et ses peintres » au LaM en 2013, « Durand- Ruel, le pari de l’impressionnisme » au Musée du Luxembourg en 2014, pour n’en citer que quelques-unes.
Les esprits chagrins verront là un filon, dénonçant l’opportunité de faire du neuf avec du vieux et de créer l’événement autour d’artistes qui font recette. Ce serait une erreur, car les avancées de la recherche universitaire mettent en lumière l’ampleur de l’influence de ces personnages éclairés qu’étaient les marchands d’art du XXe siècle. « Ce sont les grands peintres qui font les grands marchands », disait modestement l’un d’eux, Daniel-Henry Kahnweiler. Ce à quoi Picasso aurait rétorqué, grinçant : « Que serions-nous devenus si Kahnweiler n’avait pas le sens des affaires ! » Résumer le talent de ces acteurs à leur sens mercantile est pour le moins rapide. Quel aurait été le destin du maître catalan, mais aussi de Braque, Derain ou Vlaminck, sans le discernement de Kahnweiler, comprenant avant tout le monde l’intérêt du cubisme à ses tout débuts ? Et avant eux, que seraient devenus Monet, Renoir ou Pissarro sans Paul Durand-Ruel ? Tout au long des XIXe et XXe siècles, les Goupil, Tanguy, Bernheim, Vollard, mais aussi Wildenstein, Maeght, Lambert, Templon et tant d’autres ont joué un rôle crucial dans la promotion des artistes émergents, non seulement en exposant leurs œuvres, en les conseillant, en leur faisant profiter de leurs réseaux, mais aussi en leur apportant un soutien financier direct. Certes, les temps ont changé, mais on a peine à imaginer aujourd’hui qu’un Ambroise Vollard ou un Leo Stein, par exemple, assuraient à leurs protégés une rémunération, que leurs tableaux se vendent ou non, pour leur épargner tout souci matériel et leur permettre de se consacrer à Leur Art.
De même, on a oublié que c’est grâce à un marchand américain, dont il a fait la connaissance fortuitement parce que la sonnette de sa porte était en panne, que le peintre Nicolas de Staël est devenu célèbre, aux États-Unis d’abord, puis en France. Pourquoi évoquer Nicolas de Staël ? Parce que l’autre événement de cette rentrée est assurément la rétrospective que consacre à ce dernier le Musée d’art moderne de Paris. Alors, pour boucler la boucle, à quand une exposition pour rendre hommage à Jeanne Bucher, la galeriste de Nicolas de Staël ? Car c’est grâce à elle, qui lui trouve atelier et logement pendant la guerre et lui offre sa première exposition personnelle à la Libération, que nous pouvons aujourd’hui admirer cet œuvre incomparable.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
De l’art d’être marchand
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°767 du 1 septembre 2023, avec le titre suivant : De l’art d’être marchand