PARIS
Histoire. Par deux fois, des ministres français de la Culture ont mis au pilon un ouvrage édité par leurs services et qu’ils avaient préfacé.
En 2011, Frédéric Mitterrand faisait détruire l’ouvrage recensant les célébrations nationales parce qu’il mentionnait le cinquantenaire de la mort de Céline (1894-1961). Fin janvier, Françoise Nyssen a fait de même avec celui, qui parmi ses 336 pages de commémorations nationales, inscrivait celle des 150 ans de la naissance du directeur de l’Action française, Charles Maurras (1868-1952). Par son revirement, l’éditrice devenue ministre a désavoué de manière peu élégante les membres du Haut Comité des commémorations nationales, dont font partie Jean-Noël Jeanneney et Pascal Ory [chroniqueur au Journal des Arts]. À raison, ces historiens ont fait valoir ensuite, dans Le Monde, que s’il revenait à l’État de « fêter le souvenir des moments lumineux », celui-ci avait aussi le devoir de « braquer quelques lumières sur les périodes les plus sombres ». Donc, ne pas faire le tri dans le passé, se souvenir, étudier, réfléchir sur tout. Mais « célébrer » ou « commémorer » – la distinction est mince – mobilisent d’autres valeurs et tout dépend de comment on procède.
Mai 68 n’appartient certainement pas à une période sombre. Pourtant certains, à droite et à l’extrême droite, ont voulu faire passer à la trappe cette contestation politique et gauchiste de la société française, dont la commémoration est inscrite dans l’ouvrage réimprimé. Avec « Images en lutte. La culture visuelle de l’extrême gauche en France (1968-1974) », Philippe Artières et Éric de Chassey se livrent à l’exercice avec lucidité et rigueur. D’abord, par une exposition (1) : aux Beaux-Arts de Paris, où sont confrontés, efficacement, sans scénographie ostentatoire, documents oubliés et œuvres d’art méconnues, signés d’individus (parfois anonymes) ou de collectifs, proposant archives, journaux et livres. Une manière de redonner, sans esthétisation ou neutralisation, son rôle à l’effet visuel dans le soulèvement. Au premier rang de ces archives, les affiches, devenues célèbres, produites par l’Atelier populaire, fer de lance d’une École des beaux-arts occupée par ses élèves, ses enseignants et d’autres artistes. Un accrochage d’images, validées autrefois en assemblée générale, qui montre, selon les termes du catalogue, « les enthousiasmes et les doutes mais aussi les errements » des militants, leur aveuglement devant le castrisme, la Révolution culturelle des gardes rouges maoïstes…
Deuxième pierre de cette commémoration, le catalogue comprenant les textes des deux commissaires, l’un historien, l’autre historien de l’art. Mettant en garde contre un regard nostalgique, Artières rappelle le contexte historique et géopolitique du gauchisme français, les luttes anticoloniales, le rôle d’une culture livresque, laquelle varie selon les groupuscules, le refus majoritaire de la lutte armée. Chassey montre, notamment, qu’à travers les Salons de la jeune peinture des artistes, refusant l’autonomie du champ de la création, « inventent une forme actualisée de réalisme socialiste » et que les collectifs connaissent une vogue sans précédent, tel Supports-Surfaces rejetant la « figuration réactionnaire ».
L’exposition rappelle aussi comment la Chine de Mao saluait Mai 68. Gageons que celle de Xi Jinping ne s’en souviendra pas, et surtout, qu’elle ne célébrera ni ne commémorera l’an prochain les 30 ans du mouvement d’étudiants, d’intellectuels et d’ouvriers place Tian’anmen [15 avril-5 juin 1989]. Elle s’efforcera d’en empêcher toute évocation, sur le continent et à Hongkong, car cet État veut obliger à faire le tri dans le passé. Exemple à ne pas suivre.
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Commémorer, mais comment ?
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°497 du 16 mars 2018, avec le titre suivant : Commémorer, mais comment ?