L’église Saint-Gervais-Saint-Protais de Gisors (Eure), fruit de diverses campagnes de travaux effectuées entre le XIIIe siècle et la fin du XVIe siècle, a de quoi étonner par ses proportions hors norme.
De fait, cette église paroissiale, de la taille d’une petite cathédrale, a souvent été prise pour une collégiale, bien qu’aucun collège de chanoines n’y ait siégé. Comment alors expliquer cette taille inhabituelle ? Les amateurs de grandes figures de commanditaires traditionnelles (princes de sang, archevêques…) seront déçus : peu d’entre eux ont réellement œuvré au faste de cette église à la Renaissance, à l’exception de la famille de Saint-Pol à la fin la période étudiée (1515-1629). Renée de France, comtesse de Gisors, semble n’y avoir jamais mis les pieds. C’est donc vers la foule des habitants de la ville et des petits seigneurs des environs qu’il faut se tourner. Bien que située à la croisée des routes commerciales reliant Rouen, Beauvais, Paris et Dieppe, faisant donc venir les marchands d’horizons divers, Gisors était surtout le siège d’une élection, d’un bailliage, d’une prévôté, d’un parlement et d’un grenier à sel. Ces institutions attiraient autant de bourgeois que de petits nobles avides d’offices et de reconnaissance sociale. Unique église paroissiale d’une ville à l’administration et au commerce dynamiques, l’église Saint-Gervais-Saint-Protais a donc concentré la quasi-intégralité des donations des habitants de la ville, qui voyaient cet édifice comme un lieu où ils pouvaient faire la démonstration de leur générosité.
Un « Manhattan du XVIe siècle »
Les notables géraient le chantier de construction à travers la fabrique. Ils pouvaient également adhérer à des confréries, particulièrement nombreuses à Gisors, qui disposaient d’espaces à l’intérieur de l’édifice. Rien n’étant trop beau pour honorer Dieu et pour surpasser le voisin, leurs chapelles rivalisaient de faste : vitraux des plus grands maîtres verriers de la région, sculptures, retables et peintures murales dont certains fragments sont conservés. L’aménagement intérieur nous est en effet fort bien connu grâce à une description détaillée rédigée en 1629. Celle-ci nous permet notamment de percevoir la commande effectuée à titre individuel ; cette commande prenait la plupart du temps la forme de chapelles étroites et fermées, adossées aux piliers de l’édifice, où les retables s’élevaient en hauteur, surmontés de sculptures, formant un véritable « Manhattan du XVIe siècle ».
L’absence de grande figure de donateur n’a donc pas nui à la formation d’un milieu artistique fécond et original. Si les campagnes de travaux flamboyantes ont déjà été étudiées en détail par Étienne Hamon, les ajouts architecturaux postérieurs (un portail occidental, une tour ornée d’ordres à l’antique, un jubé en arc de triomphe dont certains fragments ont été conservés, une tribune d’orgue), restaient à traiter. L’un des principaux problèmes à résoudre est l’introduction des formes de la Renaissance à Gisors. C’est en effet sur la tour sud de l’église que le motif de superposition de colonnes à l’antique est, à notre connaissance, utilisé pour la première fois dans le Vexin. Or, nous n’avons pu déterminer avec précision si les architectes en ont eu connaissance au travers des livres d’architecture (la modénature des ordres semble clairement inspirée de Serlio), ou par les autres chantiers de la région.
Un vivier d’artistes ouvert à la nouveauté
Toujours est-il qu’un véritable vivier d’artistes, connu grâce aux comptes de la fabrique, se forme autour du chantier de l’église : la famille de maîtres maçons et sculpteurs Grappin, les peintres et sculpteurs Couille, les peintres Poisson… S’il n’y figure pas de noms connus de l’histoire des arts traditionnelle, il s’y déploie un milieu mobile et ouvert à la nouveauté. Certains sont partis à Paris, d’autres ont travaillé sur le chantier de Fontainebleau et sont rentrés à Gisors, un autre encore, Louis II Poisson, est devenu un des peintres officiels du roi Henri IV. La famille des architectes Grappin a sans doute œuvré en d’autres endroits du Vexin pour de prestigieuses familles : celles de Montmorency, de Pellevé, d’Estouteville et de Saint-Pol possédaient en effet des terres dans la région. Pour autant il ne faut pas, à l’instar de Louis Régnier et des historiens du XIXe siècle, sombrer dans la facilité d’attribuer l’intégralité des églises de style renaissant du Vexin à cette famille d’architectes. L’absence de sources nous prive de la connaissance d’autres artistes qui ont cependant pu s’inspirer du chantier de Gisors. Des commandes importantes ont également été effectuées à des artistes n’appartenant pas au milieu gisorsien. L’exemple le plus frappant est bien sûr le magnifique Vitrail de la vie de la Vierge, réalisé en 1545 par un artiste parisien et dont la commande demeure encore voilée de mystères…
Pour rendre compte de l’actualité de la recherche universitaire, le Journal des Arts ouvre ses colonnes aux jeunes chercheurs en publiant régulièrement des résumés de thèse de doctorat ou de mémoire de master (spécialité histoire de l’art et archéologie, arts plastiques, photographie, esthétique…). Les étudiants intéressés feront parvenir au journal leur texte d’une longueur maximale de 4 500 caractères (à adresser à Jean-Christophe Castelain, directeur de la rédaction : jchrisc@artclair.com). Nous publions cette quinzaine le texte de Marion Seure, résumé de sa thèse soutenue à l’École des chartes en février 2016 sous la codirection d’Étienne Hamon et de Thierry Crépin-Leblond.
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Commande et création artistiques autour de l’église Saint-Gervais-Saint-Protais de Gisors de 1515 à 1629
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Abonnez-vous dès 1 €L’église Saint-Gervais-Saint-Protais, Gisors. © Photo : Marion Seure.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°461 du 8 juillet 2016, avec le titre suivant : Commande et création artistiques autour de l’église Saint-Gervais-Saint-Protais de Gisors de 1515 à 1629