Cheval… - Un Beau poulet coupé en morceaux, de la purée de tomates et des champignons, du vin blanc, un bouillon, sans oublier les échalotes, la farine, le sel, le beurre et l’huile. Ce sont les ingrédients nécessaires à la préparation du poulet Marengo, façon Ginette Mathiot, autrice de Je sais cuisiner, best-seller paru en 1932, traduit depuis dans nombre de langues et écoulé à plusieurs millions d’exemplaires. Si la recette donne les étapes de la préparation du plat, elle ne délivre en revanche pas le plan de la bataille qui opposa, le 14 juin 1800, les soldats emmenés par Napoléon Bonaparte aux troupes autrichiennes : Marengo (du nom d’un petit village du Piémont italien). Selon la légende, la recette aurait été créée au débotté par le cuisinier Dunan – qui n’était pourtant pas encore au service de Bonaparte –, le soir de la victoire, pour répondre à la fringale du soldat.Dans un savoureux essai édité chez Grasset, Les Goûts de Napoléon, Philippe Costamagna, historien de l’art et directeur du Palais Fesch à Ajaccio, aborde Napoléon par ses goûts en matière de peinture, de littérature, de céramique, de femmes, mais aussi de cuisine. On y apprend ainsi que le petit caporal préférait la chair du poulet, qu’il expédiait ses repas en vingt minutes – Joséphine disait qu’il « avalait en poste » –, qu’il ne savait pas faire cuire un œuf, qu’il appréciait les rougets grillés et plus encore les lasagnes de sa mère Letizia. On apprend aussi que son vin favori était le chambertin, dont il faisait emmener plusieurs caisses lors de ses campagnes militaires. La légende – encore une – veut même que cela soit faute d’avoir bu son verre de chambertin que l’Empereur aurait perdu Waterloo, en juin 1815. Or, c’est à Waterloo que les Anglais mirent la main sur Marengo, non pas la recette au poulet, mais le cheval porte-bonheur de l’Empereur, un petit pur-sang Arabe-Barbe ramené d’Aboukir en 1799, qui participa aux batailles de Marengo – c’est possiblement lui que David représente dans le tableau Bonaparte franchissant le Grand-Saint-Bernard (1801), même si l’on sait grâce au peintre Paul Delaroche que le Premier consul traversa les Alpes à dos de mule –, d’Austerlitz, d’Iéna et de Wagram. Capturé par les troupes de Wellington, Marengo fut conduit en Angleterre, où son squelette est conservé depuis sa mort en 1831. Récemment restauré, il est aujourd’hui visible au National Army Museum, à Londres.
De Bataille - Convié parmi d’autres artistes à commémorer le bicentenaire de la disparition de Napoléon Ier, Pascal Convert a demandé le prêt de la relique afin de « ramener le cheval de la dernière défaite vers la tombe de son cavalier ». Les Britanniques ont naturellement refusé : trop fragile, disent-ils, et, sans doute aussi, trop sensible, comme souvent ce qui touche à Napoléon. Ils ont en revanche autorisé le plasticien a en faire une copie 3D afin de pouvoir la suspendre au-dessus du sarcophage de l’Empereur, sous le dôme des Invalides. Memento Marengo, « Souviens-toi Marengo », titre du projet, n’est pas du goût de tout le monde, et notamment du directeur de la Fondation Napoléon qui mène campagne contre l’installation depuis la diffusion du reportage « Napoléon l’influenceur » sur France 5. « Réhumaniser Napoléon en suspendant un squelette de cheval en plastique au-dessus de son tombeau ! On rêve… », s’est-il insurgé. « Pauvre Napoléon, que rendrait plus humain la carcasse d’un cheval ! », s’est ému à son tour Franck Ferrand dans Valeurs actuelles. « Inconvenant », a jugé un député Les Républicains, quand l’écrivain Ahmed Youssef, interrogé par Le Figaro, a qualifié la proposition de « mauvais goût ». Et des goûts et des couleurs, on ne discute pas… Sauf, qu’ici, il s’agit moins de goût que d’histoire ; non de l’histoire napoléonienne, mais de l’histoire et de l’art funéraires. Pour l’architecte du XIXe siècle César Daly, le tombeau, « œuvre architecturale la plus individuelle qui existe », est autant la dernière demeure du défunt qu’un message adressé par les vivants aux vivants. Celui de Pascal Convert est clair : « réhumaniser » l’Empereur, lui rendre « son échelle humaine » par l’intermédiaire du squelette de son compagnon d’armes, sans lui enlever « sa grandeur ». Car la proposition n’est ni sacrilège ni profanatoire. Il ne s’agit ni du « vagin de la reine » d’Anish Kapoor à Versailles ni du « plug anal » de Paul McCarthy place Vendôme, comme veut pourtant nous le faire croire le site d’extrême droite Boulevard Voltaire, mais d’un mémorial respectueux du monument comme de la mémoire du défunt. Faisant référence au rite funéraire qui consistait à enterrer un soldat avec sa monture comme au transi, cette statuaire représentant un mort, ce Memento Mori (« Souviens-toi que tu vas mourir ») de Pascal Convert invite le visiteur des Invalides à élever le regard vers le dôme de Jules Hardouin-Mansart et, donc, vers le ciel, quand Visconti, l’architecte à l’origine du dispositif du tombeau impérial au XIXe siècle, l’oblige au contraire à s’incliner. Ne pas se prosterner mais élever le regard et, avec lui, le débat : et si c’était cela qui, finalement, dérangeait ?
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Cheval… de bataille
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°744 du 1 juin 2021, avec le titre suivant : Cheval… de Bataille