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Charles J. Chaplin, la vie et l’œuvre 1847-1870

Le Journal des Arts

Le 23 juin 2010 - 841 mots

Bouguereau, Dubufe, Cabanel…, voilà des noms, fustigés par Émile Zola, ayant traversé la seconde moitié du XIXe siècle pour parvenir jusqu’à nous.

Qu’en est-il de Charles Joshua Chaplin (1825-1891) ? Oublié de l’histoire de l’art mais non des collectionneurs, noyé dans la masse des artistes du Second Empire dits « officiels », ce « Courbet de la grâce (1) » – comme l’a surnommé Théophile Gauthier – n’en est pas moins très célèbre à son époque avant d’être reconnu par des modernes comme Vincent van Gogh (2). Sa carrière est longue et variée. Nous ne l’étudierons cependant pas au-delà de 1870, fin du régime auquel on l’identifie.

Peintre, graveur, céramiste, Charles J. Chaplin s’illustre dans le portrait mondain, la peinture décorative et la scène de genre. La connaissance précise de son œuvre, fruit d’un long travail d’inventaire, nous a permis de découvrir un artiste allant bien au-delà des étiquettes de « Boucher moderne », de « peintre de la femme » ou de « peintre de cour » tout en restant attaché à faire reconnaître son art. 

Peintre à la mode
Abandonnant la peinture rustique de ses débuts, Chaplin devient rapidement un peintre à la mode. Son sujet de prédilection est effectivement la femme, dans ses portraits comme dans ses scènes de genre. Y excellant comme nul autre, Manet dira de lui : « Il connaît le sourire de la femme, et ça, c’est très rare. (3) » Le genre lui permet indéniablement d’accéder à la popularité. Loin de pasticher Boucher, son attrait pour l’esthétique du XVIIIe siècle dans lequel il plonge ses figures se superpose à un phénomène de mode propre au Second Empire. Coloriste de talent, sa palette tendre et ses rendus délicats, parfois jugés faciles, rendent hommage à l’éphémère, à la jeunesse de figures sorties de quelque rêve ou d’un Eden perdu. Pourtant, son œuvre dévoile une grande sensibilité et dépasse l’aspect de « cold-cream délayée dans du jus de fraises (4) ». Chaplin s’attarde sur la délicatesse d’une attitude enfantine et pose un regard tendre sur ces jeunes filles au miroir à la découverte de leur féminité. Son art, niché dans d’infimes détails, loue la pureté primitive de la femme et exalte ses sentiments comme l’instinct maternel, thème méprisé, laissé aux femmes peintres. Aussi n’est-il pas étonnant que l’artiste leur réserve un cours privé, ouvert aux alentours d’octobre 1866. Il s’agit du premier atelier féminin de dimension internationale ; il précède de quatorze années l’initiative de l’Académie Julian. Le maître encourage ses élèves les plus motivées dans la voie de l’indépendance. « Montez les échelons […] sans écouter la foule imbécile (5) », écrira-t-il à son élève Louise Abbéma, première femme à obtenir les palmes de l’Académie.

Le peintre s’investit plus généralement dans la cause des artistes et agit pour la réforme du jury du Salon, monopolisé par l’Institut. Depuis l’exclusion, en 1859, de sa Vénus « indécente » car non canonique, il tente de rendre l’art aux artistes. En 1870, il est élu membre du jury sur une liste dissidente. Un vent de liberté souffle sur la vie de ce peintre aux allures de dandy, aimant la chasse à courre et danser le cotillon. Mondain à ses heures, il fréquente les fameuses soirées d’Arsène Houssaye et les fêtes impériales. L’artiste n’a toutefois rien d’un peintre de cour. Il n’exécutera jamais de portraits du couple impérial, et le soutien d’Eugénie ne viendra que seconder une réputation déjà en marche. À Bruxelles, il glisse même une caricature de l’Empereur dans l’un des panneaux décoratifs de l’hôtel d’Assche exécutés en 1862, parallèlement à ses réalisations pour la salle de bains de l’impératrice à l’Élysée… 

Sa vie révèle un esthète pétri d’humour, un ami des hommes de lettres tel Ernest Feydeau, un homme fidèle en amitié, un peintre dévoué à ses jeunes filles et à ses roses. Chaplin les décline sur tous les supports, grâce à toutes les techniques. Attiré par les arts décoratifs, cet art du quotidien, il s’adonne à la céramique, probablement grâce à Félix Bracquemond, l’un de ses graveurs, rencontré vers 1855. Bientôt, ses œuvres sont partout. Elles prennent la forme de « primes » offertes par les journaux et se retrouvent jusque sur des boîtes d’allumettes. Ces vingt-trois années de carrière mettent en lumière un poète de la couleur et des émotions, sincère, engagé mais n’ayant pas peur de séduire. Impliqué dans les problématiques sociales et artistiques de son temps, Chaplin apporte un nouvel éclairage sur l’art et la vie sous le Second Empire.

(1) Claude Vento, Les Peintres de la femme, Paris, F. Dentu, 1888, p. 110.
 
(2) Lettre inédite de Vincent van Gogh à sa sœur Wil, Anvers, cc. 22 juin 1888, Amsterdam, no W4.
 
(3) Georges Jeanniot, « En Souvenir de Manet », La Grande Revue, 10 août 1907, no 43, p. 853-854.

(4) Théophile Thoré, « Salon de 1864 », Salons de 1861 à 1868, Paris, Veuve J. Renouard, 1870, p. 608.

(5) Lettre de Charles Chaplin à Louise Abbéma en date du 13 juillet 1887, Paris, INHA, fonds Chaplin, carton 8.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°328 du 25 juin 2010, avec le titre suivant : Charles J. Chaplin, la vie et l’œuvre 1847-1870

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