Instrumentalisation. C’est une affaire entendue : l’art fait mauvais ménage avec la propagande.
À tout le moins du point de vue démocrate libéral qui prédomine aujourd’hui – dans les démocraties libérales, justement. Sous ce regard le couple est doublement illégitime. Compris comme instrumentalisation de l’artiste par un pouvoir politique, l’art de propagande se rencontre partout, même si cette situation est omniprésente en Corée du Nord et marginale en Suède : cela, le démocrate libéral ne peut pas le nier ; mais il est esthétiquement « laid » et éthiquement « mal ».
Là où les choses se compliquent, c’est dès que l’on quitte le présent pour remonter le temps. L’art qui remplit nos musées, qui justifie nos visites de monuments historiques, l’art devant lequel ou à l’écoute duquel nous nous extasions a très souvent à voir avec la propagande. Surtout si on redonne à ce mot aujourd’hui redoutable le sens qu’il avait à ses origines (l’Église catholique en lutte contre la Réforme) de « propagation » de la vraie Foi. L’art sacré – qu’il vaudrait mieux, à mon sens, appeler l’art religieux – est, par définition, par destination et dans sa totalité, un art de propagande. Vous entrez dans la cathédrale de Chartres, dans la mosquée du Shah à Ispahan, dans le temple d’Angkor Vat : vous ne serez environnés que de propagande religieuse, au reste toujours associée à celle du régime politique protecteur, des Capétiens aux rois khmers. Seule notre ignorance ou notre aveuglement volontaire nous empêche de voir qu’une église baroque construite et décorée par Le Bernin a été conçue, dans ses moindres détails, comme une machinerie de propagande catholique et antiprotestante.
Quant à la « pure » propagande politique (à supposer que cela existât et que le marxisme-léninisme lui-même ne fût pas une religion moderne), elle a produit aussi bien Versailles que la tour Eiffel (arc de triomphe républicain érigé pour le Centenaire de la Révolution française), les murs de Diego Rivera ou l’Alexandre Nevski d’Eisenstein et Prokofiev. Oui, la propagande peut produire de la beauté – disons : du beau reconnu par l’histoire.
Voilà pour le « laid » ; reste le « mal ». Qui est, lui aussi, difficilement tenable : pourquoi ce qui était vrai dans le passé ne le serait-il plus dans le présent ? À partir de quand basculerait-on d’un univers à l’autre ? On voit bien que, le libéralisme progressant, l’artiste moderne n’a cessé de revendiquer – et d’obtenir, petit à petit – des garanties d’indépendance à l’égard des pouvoirs. Tout porte à penser que le lieu principal de la créativité artistique se situe aujourd’hui dans le commerce – au sens étymologique du terme… – qui s’établit entre un artiste « libéral » et une société « mécénale », où les mécénats public et privé se côtoient, convergent ou se concurrencent. Mais qui peut prétendre que l’artiste le plus « subversif », qui accepte pourtant la commande d’un mécène, ne contribue pas, si peu que ce soit, à la propagande dudit mécène ?
Subsiste un lieu second, où le rapport de propagande perdure. On y trouvera tel artiste mettant son art au service de la publicité, qui n’est jamais qu’une version privée de la propagande, ou encore tel autre « engagé » au service d’une cause – rien de tel, évidemment, que la propagande volontaire. Quant à savoir si tout cela accouchera de plus ou moins de chefs-d’œuvre que la création « désintéressée »… Une fois de plus, l’arbitrage viendra de la postérité : souvent bien après l’effacement des valeurs au nom desquelles ces œuvres auront été produites.
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Art et propagande : l’eau et le feu ?
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°498 du 30 mars 2018, avec le titre suivant : Art et propagande : l’eau et le feu ?