Société

Action & Durable

Par Fabien Simode · L'ŒIL

Le 1 septembre 2022 - 759 mots

Action

C’est l’action à la mode : coller littéralement sa peau à une œuvre d’art. En juillet, à Florence, deux militants écologistes collaient la paume de leur main sur la vitre qui protège Le Printemps de Botticelli aux Offices, tandis qu’un troisième activiste déroulait la banderole « Dernière Génération, plus de gaz, plus de charbon ». Le tableau n’a pas été choisi au hasard. Avec Le Printemps, les défenseurs du climat voulaient alerter le public sur l’urgence climatique. Et l’été caniculaire qui s’achève leur donne, sur ce point, raison… Ces militants italiens se sont inspirés de leurs homologues britanniques qui, quelques jours auparavant, s’étaient eux aussi collés au cadre de plusieurs tableaux, dont une ancienne copie de La Cène de Vinci à la Royal Academy of Arts et The Hay Wain (1821), chef-d’œuvre de Constable, conservé à la National Gallery. Heureusement, en Grande-Bretagne comme en Italie, aucune de ces œuvres n’a été endommagée. Le fait que les militants ne se sont pas collés directement aux peintures mais à la vitre et au cadre qui les protègent montre, d’ailleurs, que ces actions visaient moins à dégrader les œuvres qu’à attirer l’attention sur la cause écologique. À la date où nous bouclons, ce type d’action n’a pas encore gagné la France. Le fera-t-il ? Le 8 juillet, le collectif français Dernière Rénovation interpellait sur Twitter la Première ministre Élisabeth Borne en ces termes : « À quel tableau devons-nous nous coller en France pour être à la hauteur du chaos climatique qui vient ? La Joconde rien que pour le buzz international ? Le Radeau de la Méduse pour la force de la tragédie à venir annoncée par tous les scientifiques ? Le Déjeuner sur l’herbe pour la sobriété nécessaire (et semble-t-il heureuse) ? » Et quelqu’un de suggérer, en réponse, d’attendre la rentrée de septembre : « Tout ce qui se passe pendant les vacances est nul et non avenu, c’est la loi de l’actualité. »

Durable 

Et la rentrée pourrait offrir son lot d’opportunités, comme le révèle notre sélection des expositions les plus exaltantes des prochaines semaines. En raison de l’épidémie de Covid, nombre d’événements ont été reportés à cet automne, à l’instar de Frida Kahlo au Palais Galliera, choisie en couverture de L’Œil (p. 48). Mais la rentrée pourrait aussi offrir son lot de symboles. Plusieurs affiches témoignent, en effet, d’un intérêt nouveau pour le vivant, parmi lesquelles « Un bestiaire japonais » à la Maison de la culture du Japon (p. 71), « Formes vivantes » à la Cité de la céramique à Sèvres (p. 72) et la rétrospective Rosa Bonheur qui, actuellement présentée à Bordeaux, montera à Paris en octobre (p. 92). Signe des temps, cette passionnante exposition fait de l’artiste animalière du XIXe siècle une défenseuse de la cause animale, voire une militante écologiste avant l’heure. « Plus que jamais, au XXIe siècle, regarder l’art de Rosa Bonheur nous permet une nouvelle rencontre avec le vivant, et nous aide à mieux habiter le monde », promet même le catalogue édité chez Flammarion. 
De fait, une formidable lame de fond écologiste bouscule aujourd’hui l’art et son histoire. On peut en voir les signes dans la parution en septembre 2021, au Seuil, des Formes du visible, livre dans lequel l’anthropologue Philippe Descola invite à repenser la relation entre l’homme et le monde par les images ; dans la publication en mars 2022, chez Folio, d’Un ours dans la tête, un abécédaire très inattendu sur Greta Thunberg par l’historienne de l’art Laurence Bertrand Dorléac – qui sera, par ailleurs, commissaire d’une grande exposition sur la nature morte, au Louvre, en octobre (p. 75) – ; ou encore dans l’engouement pour l’univers onirique d’Elsa Guillaume, dont la céramique se nourrit de sa résidence en mer sur la goélette de la Fondation Tara Océan (p. 32). Un ouvrage important se fait l’étendard de ce nouveau regard porté sur l’art et le monde. Son titre sonne comme un manifeste : Apprendre à voir (Actes Sud, juin 2021). Son autrice, Estelle Zhong Mengual, entend inaugurer une histoire environnementale de l’art. « Nous faisons l’hypothèse suivante, écrit l’historienne de l’art : un autre régime de lisibilité de la nature en peinture est aujourd’hui permis par une approche en histoire de l’art qui combinerait les instruments d’analyse issus des humanités environnementales (philosophie du vivant, anthropologie de la nature, histoire environnementale…) et des sciences du vivant les moins réductionnistes, qui révèlent une complexité du vivant, et de nos relations à lui, largement insoupçonnées auparavant. » Bref, apprendre à voir le vivant à partir du regard des artistes et des naturalistes pour mieux comprendre notre relation à lui et mieux le préserver, et inversement. C’est certes moins spectaculaire que de coller sa main à un tableau, mais la démarche est plus « durable ».

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°757 du 1 septembre 2022, avec le titre suivant : Action & Durable

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