Sculpture moderne

Par Armelle Malvoisin · L'ŒIL

Le 28 janvier 2011 - 627 mots

Il vaut mieux être connaisseur ou très bien conseillé pour collectionner les bronzes modernes. Le marché est truffé de faux et compte peu d’experts fiables.

Le chemin est semé d’embûches pour qui veut acquérir des bronzes modernes, ces multiples qui valent si cher. Et qui ne sont pas toujours très bien numérotés (la numérotation est obligatoire depuis 1968) et inventoriés. Une aubaine pour les contrefacteurs qui se sont faufilés dans la brèche. Aucun sculpteur n’y a échappé. Cela est d’autant plus compliqué qu’il n’y a pas de règles générales pour éviter de tomber dans les pièges des bronzes modernes, sauf à se méfier de la (trop) bonne affaire. Par exemple, un Ours de François Pompon à 25 000 euros, ce n’est pas possible (compter plus de 100 000 euros).

L’existence du catalogue raisonné d’un sculpteur rassure les collectionneurs. Car il permet de lister l’ensemble de l’œuvre sculpté de l’artiste, de connaître la date (ou l’époque) et le nombre de tirages pour chaque sujet. Ces catalogues ne sont cependant pas complètement exhaustifs. Des œuvres réapparaissent parfois sur le marché. Outre l’analyse qualitative, il faut donc enquêter sur l’origine des bronzes nouvellement découverts. Une démarche classique des escrocs consiste à attribuer un document d’origine, comme une véritable facture d’époque d’une galerie, à un faux bronze représentant le même sujet que celui décrit, ou alors de produire de faux documents pour accompagner des contrefaçons à écouler. Et si l’objet ne se présente pas très bien malgré son pedigree, de dire qu’il a traîné longtemps dans une cave.

Faut-il acheter un bronze posthume ou un tirage du vivant de l’artiste ? Dans certains cas, les bronzes fondus du vivant de l’artiste sont plus prisés, parce que l’artiste est intervenu sur les tirages réalisés. On constate aussi que la qualité des bronzes d’une même série peut varier. Ainsi, une belle ciselure ou une jolie patine peut peser sur le prix de la transaction.

Pour authentifier un bronze et en apprécier la qualité, il convient de ne pas consulter qu’un seul expert, fut-il celui qui fait officiellement autorité pour l’artiste. Les maisons de ventes aux enchères s’abritent trop facilement derrière ce label de l’expert attitré. Or, on a vu des bronzes auréolés d’un certificat d’expertise ne pas franchir les barrages de grandes foires internationales, à la suite de l’examen minutieux en commission par plusieurs yeux de professionnels avisés. Dans la sculpture moderne, il vaut mieux se barder de précautions et ne pas y aller les yeux fermés.

Questions à... Alain Richarme Marchand et expert en bronzes XIXe et XXe, Paris

Comment regardez-vous un bronze pour jauger sa qualité ?
J’observe la qualité de la ciselure et la profondeur de la patine. Et je regarde toujours l’intérieur d’un bronze, même quand il y a un socle (je le fais alors démonter). On y apprend beaucoup : des renseignements sur son époque, sa fonte et son montage d’un seul bloc ou en plusieurs morceaux, et sur la spécificité des fondeurs. J’apprécie aussi sa légèreté. C’est une règle en métallurgie, lorsque l’épaisseur du bronze est importante, la déformation est grande lors du refroidissement. Plus un bronze est léger, plus il est proche de sa forme originale.

À quels types de faux êtes-vous confronté ?
Le faux réalisé par procédé de surmoulage est tout de suite repérable aux yeux d’un habitué. Parce que la copie réalisée est plus petite que le bronze authentique qui lui a servi de modèle. La qualité de ciselure est moindre : les détails de surface sont plus mous. La patine est peu profonde et manque de nuance. Le faux illicite, réalisé à partir du moule ou du plâtre d’origine, peut être trahi par la qualité du bronze, sa patine et son montage. Enfin, les nouveaux faux sont grossiers et ne trompent personne.

Le marché des Giacometti
Les sculptures d’Alberto Giacometti atteignent des prix stratosphériques. Elles se négocient généralement quelques centaines de milliers d’euros, quand ce n’est pas plusieurs millions d’euros. Une épreuve de L’Homme qui marche I, fondue du vivant de l’artiste, a été l’œuvre d’art la plus chère du monde en vente publique en 2010 (avec 74 millions d’euros, record battu quelques semaines plus tard par un tableau de Picasso). Parmi les rares pièces plus accessibles, citons un pied de lampe en bronze à tête de femme, créé en 1937 pour Jean-Michel Frank, qui se vend autour de 50 000 euros. Un trafic de plus de 1 200 fausses sculptures de Giacometti a été démantelé en Allemagne en 2010. Les contrefaçons, considérées comme grossières par des spécialistes, pouvaient être crédibles aux yeux d’un novice. L’authenticité d’une œuvre du sculpteur doit être confirmée par le Comité Giacometti, sous l’égide de la fondation Alberto et Annette Giacometti qui tient à jour le catalogue raisonné de l’œuvre du sculpteur, mais aussi conjointement par Mary-Lisa Palmer, expert reconnue de l’artiste et directrice de l’Association Giacometti.

L’animalerie de Rembrandt Bugatti
Le sculpteur animalier avait passé un contrat d’édition avec le fondeur Hébrard. Si les deux tiers des épreuves ont été réalisés après la mort du sculpteur, « on considère que cela n’a pas beaucoup d’importance, car Bugatti ne retouchait pas ses sculptures », souligne le spécialiste Alain Richarme. Tous les tirages ont été numérotés. Certains bronzes ont été tirés à très peu d’exemplaires, comme le Babouin sacré hamadryas (11 exemplaires) ou la Lionne de Nubie (7 exemplaires). Ils valent aujourd’hui plus d’un million d’euros du fait de leur rareté. Grand succès à son époque, le Jaguar accroupi (petit modèle) a été tiré à 51 exemplaires. Plus courant et de petite taille, il vaut autour de 50 000 euros.

La simplicité selon Degas
Avec Degas, c’est simple : tous ses bronzes sont posthumes, c’est-à-dire qu’ils ont été fondus après sa mort par le fondeur Hébrard. En plus de cette Petite Danseuse de quatorze ans, l’artiste a conçu 73 autres sculptures, toutes fondues et numérotées par Hébrard à tirage constant de 22 exemplaires. Les bronzes les plus prisés portent sur les sujets les plus emblématiques de Degas, ou sont issus des séries sur la danseuse et sur le cheval, dans différentes postures, à partir de 100 000 euros pièce. L’œuvre sculpté de Degas est extrêmement bien répertorié. Si bien qu’un faux bronze de l’artiste serait très facilement détecté.

Le casse-tête Rodin
C’est sans doute le sculpteur le plus difficile à collectionner. Il existe de nombreux modèles de sculptures réalisés en plusieurs versions et tailles, par différents fondeurs (Rudier, Bardebienne, Hébrard), avec autant de variantes dans les fontes, ciselures et patines, sous le contrôle de Rodin. Rudier parvenait à fondre les bronzes d’un seul bloc. Cette prouesse technique vaut à certaines épreuves une sensible plus-value. Le Baiser, qui est un des sujets les plus prisés, est apprécié dans sa version avec des nuances de patine brun rouge. Comparativement, un Baiser à patine verte se vend 100 000 euros de moins. Au contraire, les reflets verts siéent bien au Penseur et au Balzac. Très nombreux sont les faux de Rodin sur le marché, et pas toujours faciles à détecter. Attention, dans les années 1960 à 1980, des centaines de bronzes furent fondus illicitement avec l’utilisation frauduleuse de la signature d’Alexis Rudier.

Galeries

Où acheter de la sculpture moderne :
Galerie l’Univers du Bronze, 27-29, rue de Penthièvre, Paris VIIIe, tél. 01 42 56 50 30, www.universdubronze.com
Galerie Malaquais, 19, quai Malaquais, Paris VIe, tél. 01 42 86 04 75, www.galerie-malaquais.com

Où acheter des sculptures de Giacometti :
Galerie Kamel Mennour, 47, rue Saint-André-des-Arts, Paris VIe, tél. 01 56 24 03 63, www.galeriemennour.com

Galerie Gagosian, 4, rue de Ponthieu, Paris VIIIe, tél. 01 75 00 05 92, www.gagosian.com

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°632 du 1 février 2011, avec le titre suivant : Sculpture moderne

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