Frida Kahlo, un 'ruban autour d’une bombe'

Par Manou Farine · L'ŒIL

Le 26 janvier 2010 - 848 mots

Combattante politique, amante passionnée et muse engagée, Frida Kahlo occupe une place centrale au sein du surréalisme mexicain. Longtemps boudée en Europe, Bruxelles lui consacre une rétrospective. Flamboyante, forcément.

D'elle on connaît le visage de médaille, les tresses noires enroulées sur le haut du crâne, les sourcils épais, le duvet brun, les fleurs dans les cheveux et les lourds bijoux sur de grands châles enveloppant une frêle silhouette. Icône estampillée en bonne et due forme d’une identité mexicaine souveraine. D’elle on sait les combats féministes, l’engagement communiste, les liens avec Trotski, Breton et bien sûr Diego Rivera. D’elle on connaît sans doute un peu moins la peinture, les aplats colorés empruntant à la peinture populaire mexicaine autant qu’aux échappées surréalistes combinées en un vocabulaire fantastique et naïf dont elle occupe la première place. Entre martyre et icône hiératique.

« Je m’habitue à souffrir »
Née dans un faubourg de Mexico, d’un photographe juif allemand fraîchement immigré et d’une mère peintre et mexicaine, la petite Frida connaît un premier calvaire à l’âge de 8 ans : la poliomyélite. Jambe et pied droits atrophiés, ce sera donc Frida la boiteuse, petite fille au tempérament bien trempé qui se rêve médecin et entreprend de brillantes études. Mais le 17 septembre 1925, à Mexico, Frida et son grand amour de jeunesse Alejandro Gómez Arias montent dans un bus. Un tramway les percute. « Je n’ai pas versé une larme, rapporte-t-elle. Le choc nous a propulsés vers l’avant et j’ai été transpercée par la rampe comme un taureau par une épée. »
 
Elle a dix-huit ans et le corps brisé. Son calvaire commence. « La seule bonne nouvelle, écrit-elle après l’accident, c’est que je commence à m’habituer à souffrir. » Et d’ajouter quelques mois plus tard : « Je vais mal, et j’irai toujours plus mal, mais j’apprends à être seule ; un petit triomphe qui n’est pas sans atout… » Elle subit de multiples interventions chirurgicales, enchaîne les interruptions de grossesse que son ventre démoli ne peut porter et s’harnache dès 1943 d’un corset en acier avant d’être amputée d’une jambe dévorée par la gangrène.
 
Frida Kahlo passera le plus clair de son temps allongée, entre l’hôpital et sa « maison bleue » de Coyoacán. C’est depuis son lit à baldaquin qu’elle peindra une partie de son œuvre, installant même un miroir au-dessus de sa tête pour exécuter ses nombreux autoportraits. Le 14 juillet 1954, elle sera incinérée car « même dans un cercueil, je ne veux plus jamais rester couchée ».

Diego Rivera, son « bel enfant »
Cette vie modelée par la souffrance n’empêchera ni les liaisons, ni la peinture, ni le combat politique. À commencer par sa relation tumultueuse avec Diego Rivera (1886-1957), mari, ami et mentor, un ogre dévorant à la carrure de géant qu’elle appelle « mon joli petit môme », « mon bel enfant ». Lorsqu’elle le rencontre en 1928, il est déjà le peintre de la révolution, le célèbre muraliste aux grandes fresques offensives. Elle vient d’entrer aux Jeunesses communistes et commence à faire connaître sa peinture explosive. Rivera trouve en elle un alter ego volcanique et militant qu’il épouse en 1929.
 
Le couple s’essaie un temps à l’Amérique où Diego répond à quelques commandes. Il commence même à peindre une fresque pour le Rockefeller Center de New York, mais glisse un portrait de Lénine dans la composition. Bilan : scandale bruyant et rupture de contrat. Et Frida, bien plus que son mari, peine à trouver sa place loin du Mexique.

Au retour en 1933, elle le quitte une première fois, épuisée par les infidélités de son homme, qui mène alors une relation agitée avec Cristina, sa propre sœur. À son tour, elle voyage, multiplie les liaisons, féminines comme masculines, et s’engage activement lors de la guerre d’Espagne. On lui prête même une – assez peu probable – liaison avec Trotski, à qui le gouvernement mexicain accorde l’asile politique en 1937. Elle lui dédicace un tendre autoportrait cette année-là, alors que le leader en exil passe quelques mois dans la fameuse maison familiale de Frida.
 
Les années qui suivent sont tumultueuses : le couple se déchire, divorce, puis se retrouve. Entre deux opérations, tentant de réparer un corps de plus en plus affaibli, l’artiste prend son envol, expose en Europe, puis à New York, s’éprend encore de quelques amants et amantes de passage et s’engage plus encore dans la construction d’une identité artistique mexicaine. L’heure est à la pédagogie et à la transmission : elle se fait le héraut d’un art national. Kahlo donne des leçons de peinture murale, enseignant depuis sa maison de Coyoacán qu’elle occupe enfin avec Diego Rivera.

Biographie

1907
Naît à Coyoacán au sud de Mexico.

1915
Poliomyélite.

1922
Études à l’école préparatoire nationale de Mexico.

1925
Alitée suite à un accident d’autobus, elle commence à peindre.

1928
S’inscrit au PC mexicain.

1929
Épouse Diego Rivera.

1937
Rencontre André Breton et Trotski.

1943
Doit porter un corset de fer.

1950
Subit sept opérations en trois ans.

1953
Première exposition monographique au Mexique.

1954
Elle décède à Coyoacán d’une pneumonie.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°621 du 1 février 2010, avec le titre suivant : Frida Kahlo, un 'ruban autour d’une bombe'

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