À la frontière de la France, de l’Allemagne, de la Belgique et du Luxembourg, Verdun a toujours été un carrefour culturel important, mais aussi une place forte stratégique et donc convoitée, comme en témoigne la bataille sanglante de 14-18 qui modifia pour longtemps son paysage.
De 1914 à 1918, la Grande Guerre a ensanglanté et laminé près de 700 kilomètres de lignes de front, de la mer du Nord à la Suisse. Certains sites de bataille sont restés tristement célèbres : les Éparges, la Marne, ou encore le Chemin des Dames. Dans cette litanie funeste, un lieu représente plus qu’aucun autre la tragédie de la grande boucherie : Verdun. Bien que la cité soit irrémédiablement assimilée à la fournaise de 14-18, son patrimoine témoigne cependant d’une histoire riche et millénaire. Verdun entre dans les annales en 843, lorsque les petits-fils de Charlemagne y signent le traité de partage de l’Empire carolingien, posant les bases de l’Europe médiévale. Située en Lorraine, dans une région stratégique aux confins de la France et à la frontière avec l’Allemagne, le Luxembourg et la Belgique, la cité a toujours été au cœur des conflits, mais aussi un carrefour d’échanges culturels. Au Moyen Âge, elle constitue une ville importante et prospère comme le rappellent les vestiges de l’abbaye romane et la tour Chaussée, ouvrage massif posté à l’entrée de la ville basse. Sous l’Ancien Régime, elle forme avec Metz et Toul la province des Trois-Évêchés. De nombreux monuments rappellent son statut considérable, dont le plus emblématique : la cathédrale Notre-Dame. Édifice composite construit entre le Xe et le XVIIIe siècle, elle porte l’empreinte de l’architecture rhénane, tandis que sa crypte évoque la Grande Guerre avec ses chapiteaux mettant en scène le quotidien des poilus.
D’autres bâtiments composent l’identité architecturale verdunoise : le beau palais épiscopal dessiné par Robert de Cotte, l’hôtel de ville datant du règne de Louis XIII, la synagogue de style hispano-mauresque ; ou encore la chapelle Saint-Joseph, un des premiers édifices religieux construits en fer. En se promenant dans le cœur de la ville, récemment réhabilité, et qui compte quelques intéressants édifices de l’entre-deux-guerres, et en flânant le long du quai de Londres peuplé de péniches, on est d’ailleurs frappé par le caractère charmant de la ville, qui contraste fortement avec l’image que l’on s’en fait. Cependant, l’empreinte de sa longue histoire militaire est omniprésente : la citadelle, les statues de généraux et maréchaux, le pont-écluse de Saint-Amand, de Vauban, ou encore l’imposant mess des officiers remémorent que Verdun a toujours été une place forte convoitée. Tout comme les stigmates des bombardements de 1916, les nombreux monuments aux morts, sans oublier le colossal Monument à la Victoire, dont la silhouette Art déco domine le centre-ville, rappellent qu’elle a été le théâtre de combats effroyables il y a moins de cent ans.
Une guerre dans la guerre
Entre février et décembre 1916, pendant trois cents jours et trois cents nuits, plus de 300 000 soldats français et allemands y trouvent la mort et 400 000 combattants sont blessés sous un déluge de fer et de feu. Les millions d’obus déversés sur la cité meusienne et les communes alentour transforment de façon irréversible le paysage et anéantissent neuf villages. Ces villages détruits, « morts pour la France », n’ont pas été reconstruits ; aujourd’hui ne demeure que l’indication de l’emplacement des maisons et lieux publics d’autrefois. Autour de Verdun, fermes, vignes et champs de culture ont ainsi disparu dans un magma apocalyptique ; la terre a englouti des milliers de tonnes d’armes, de décombres et près d’un tiers des soldats tombés au front. Cette démesure dans l’horreur transforme rapidement Verdun en symbole, en capitale internationale de la der des ders, comme le résumera Paul Valéry : « Verdun c’est une guerre tout entière insérée dans la Grande Guerre ». Après l’armistice, la ville s’impose comme un haut lieu de mémoire et une destination incontournable du tourisme mémoriel. Les premiers guides sont d’ailleurs publiés très vite après la fin des hostilités, et les visiteurs affluent pour se recueillir et se plonger dans un livre d’histoire à ciel ouvert. Pour préserver le souvenir des combats, l’État instaure une zone rouge. Des milliers d’hectares pollués sont expropriés, sanctuarisés et reboisés, à l’exception de quelques sites emblématiques. La nature y a rapidement repris ses droits et la physionomie des champs de bataille s’est estompée sous une forêt dense et vallonnée. Mais en s’enfonçant dans cette forêt de près de 10 000 hectares, récemment labellisée Forêt d’Exception, les vestiges affleurent. À Verdun, il ne subsiste pas de tranchée, à l’exception de celle, mythique, des baïonnettes, mais quelques artères étroites de communication ; les boyaux, dont celui de Londres. Parmi les différents circuits pédestres, celui à proximité du fort de Souville est particulièrement spectaculaire. Postes d’observation, casemates Pamart, tourelle à éclipse, fort et abris construits par les combattants ponctuent le parcours. Alors que la topographie bouleversée porte encore la marque des impacts d’obus qui dessinent de terrifiants cratères. Le fort laissé en l’état est désormais une ruine envahie par la végétation, autour de laquelle poussent quantité d’orchidées sauvages au milieu des éclats d’obus remontant régulièrement à la surface, conférant au site une atmosphère hors du temps.
A. Le fort de Vaux
Après la défaite de 1871, une ceinture fortifiée a été construite le long de la nouvelle frontière avec l’Allemagne. Verdun, verrou stratégique, est ainsi entouré de plusieurs ouvrages dont celui de Vaux qui incarne la résistance des poilus et du commandant Raynal. La muséographie, bien que désuète, rappelle les conditions de vie des soldats à travers la reconstitution des postes de commandement, de l’infirmerie, des dortoirs, sans oublier le pigeonnier d’où partait Vaillant, un fameux pigeon voyageur.
Vaux-devant-Damloup (55), www.verdun-meuse.fr
B. En attendant le nouveau mémorial…
Le Mémorial de Verdun occupe une place singulière parmi les musées dédiés à la Grande Guerre car il a été voulu par, et pour, les anciens combattants. Créé en 1967, sous l’égide de l’écrivain Maurice Genevoix, il a été construit sur le champ de bataille, à l’emplacement de la gare détruite de Fleury-devant-Douaumont. Nécessitant une remise aux normes, le Mémorial a entrepris une profonde refonte qui inclut aussi une modernisation de sa muséographie et de son discours. L’ancien parcours très mémoriel cédera le pas à une vision plus historique et à une meilleure contextualisation des pièces exposées. Ce chantier devrait s’achever fin 2015. Pour l’heure, une partie de sa collection qui fait figure de « coffre-fort des anciens combattants » est visible au Centre mondial de la paix, au sein de l’exposition « Que reste-t-il de la Grande Guerre ? » Cette manifestation présente les conséquences de 14-18 et explique par ailleurs comment Verdun est devenu un symbole universel, en convoquant documents, objets et œuvres contemporaines du conflit.
C. La Citadelle de Verdun
À la fin du XIXe siècle, des galeries souterraines ont été creusées sous la citadelle pour abriter civils, soldats et matériel. Dotées de magasins à poudre, à munitions, d’une boulangerie, d’un moulin ou encore d’une centrale de télécommunication, les galeries allaient jouer un rôle logistique crucial en 1916. Après l’armistice, c’est également là que fut désigné le soldat inconnu reposant sous l’Arc de triomphe à Paris. Aujourd’hui, les galeries se visitent en wagonnet et le parcours reconstitue les temps forts du conflit.
Avenue du 5e RAP, Verdun (55), www.citadelle-souterraine-verdun.fr
D. La tranchée des Baïonnettes
Ce monument construit par André Ventre en 1920 abrite une portion de tranchée dans laquelle les soldats auraient, selon la légende, été ensevelis debout lors de violents bombardements. Si l’on sait aujourd’hui que l’histoire a été romancée, le lieu représente toujours dans l’imaginaire collectif l’horreur de la guerre industrielle. Comme nombre de sites emblématiques, la tranchée a été pillée et les baïonnettes qui témoignaient de la supposée position des soldats ont disparu. Elles ont été remplacées par des croix.
Douaumont (55)
E. L’ossuaire de Douaumont
Édifié en 1927 par Léon Azéma, l’ossuaire de Douaumont domine les champs de bataille ainsi que la nécropole nationale. Ce bâtiment impressionnant, dont la silhouette évoquerait une épée enfoncée dans le sol ou un obus gigantesque, conserve les restes de 130 000 soldats inconnus, français et allemands réunis sans distinction de nationalité, en fonction uniquement du lieu où ils ont péri. Sa chapelle est ornée d’une série de vitraux de Georges Desvallières, dont une surprenante Ascension montrant un Christ vêtu en poilu.
Douaumont (55), www.verdun-douaumont.com
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Verdun, la mémoire
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Abonnez-vous dès 1 €« Que reste-t-il de la Grande Guerre ? », Centre mondial de la paix, palais épiscopal, place Monseigneur-Ginisty, Verdun (55), www.centremondialdelapaix.eu
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°673 du 1 novembre 2014, avec le titre suivant : Verdun, la mémoire