La campagne aixoise, un domaine viticole, des édifices signés Nouvel, Ando et Gehry, un parcours d’œuvres entre vignes et oliviers, c’est le pari sans risque mais inédit d’un homme d’affaires irlandais. Visite…
On connaissait l’île de Naoshima au Japon, son Turrell, son Walter De Maria, ou encore l’invraisemblable villa Celle en Toscane, ses Penone et ses Buren à ciel ouvert. Il faudra désormais compter avec Château La Coste, au nord d’Aix-en-Provence, son Gillick, son Serra et son Calder. Réglementations parfois ubuesques, réglages d’œuvres au caillou et au centimètre près, l’affaire lancée en 2004 aura pourtant mis du temps à émerger des terres sèches et venteuses du Puy-Sainte-Réparade. Mais, depuis juin 2011, le bouche-à-oreille a tranquillement fait son œuvre. Sans tambour ni inauguration officielle, mais avec un plan com distillé au compte-gouttes, le domaine 100 % privé a entrouvert son parcours sur une idée simple : associer activité viticole et mécénat culturel. Et sur le terrain, ça donne une promenade entre vignes, oliviers et sculptures à conclure sur une dégustation des vins du cru.
Des commandes passées aux poids lourds de l’architecture
Aux manettes de ce programme hors norme : Paddy McKillen, businessman irlandais quinquagénaire, à la tête d’une fulgurante fortune immobilière amorcée dans les années 1980. Aussi célèbre outre-Manche – pas un papier dans la presse qui ne souligne les affaires qui le lient à Bono et son amitié pour lui – que discret en Provence, le déjà collectionneur et déjà propriétaire d’établissements hôteliers haut de gamme cherche de quoi satisfaire sa passion du vin. Une sœur ancrée dans le pays d’Aix et la mise en vente de Château La Coste – 180 ha dont 125 de vignes – feront le reste.
En 2003, l’affaire et l’idée de la fondation sont dans le sac. Reste à refaire un nom – versant biodynamique – à ce modeste cru et à scénariser le projet, dans un pays qui peine à encourager les initiatives de ce genre. Fada, l’Irlandais ? Pas vraiment. La bonne idée sera d’abord de chasser sur les mêmes terres que ses collègues collectionneurs. McKillen commence par donner carte blanche au golden club des architectes : Jean Nouvel, Frank O. Gehry, Renzo Piano, Tadao Ando... Du lourd, du prix Pritzker, du sans-risque, du qui-s’est-déjà-frotté-à-l’édifice-culturel-et-muséal. À commencer par Ando, maître vénitien pour Pinault, qui signe là pas moins de trois édifices : le bâtiment d’accueil de la fondation, bloc bétonné minimaliste ajouré pour la signature, un pavillon tout de bois pour le message durable, et une réinterprétation hallucinante de mesure d’une chapelle romane du XVIe siècle en surplomb du domaine. Sans doute le tour de force du maître japonais que ce minuscule espace à silence, déposé en haut d’une colline, bordé à l’arrière d’une croix perlée créée par Othoniel et à l’avant de délicates lamelles pour une découpe verticale d’un paysage à bandes horizontales cézaniennes, vignes, montagnes, ciel. Vert, brun, azur. Ando aurait même réglé l’orientation des ceps pour que la nature réponde au millimètre à celle de son projet bâti.
À l’atelier de Nouvel revient la partie vinicole, mention cuverie et chais, brillantes structures en demi-cercle et en aluminium à deux pas de la bastide vénitienne du XVIIe siècle préservée au pied des vignes. Quant à Gehry, il est l’auteur d’un spectaculaire pavillon à musique, déjà montré en 2008 à la Serpentine Gallery de Londres. Ode théâtrale à la déconstruction, le bâtiment, mi-amphithéâtre, mi-galerie, s’autorise tous les effets, chevauchements tempétueux de bois, de verre et impression d’inachèvement compris. En attendant les édifices en projet et la sortie de terre d’un luxueux hôtel, la promenade mène discrètement en contrebas vers une maison Prouvé fraîchement restaurée et une ancienne maison de thé vietnamienne reconstituée planche après planche, témoignage spectaculaire des nombreux voyages du propriétaire en Asie.
Côté art, des œuvres signées Bourgeois, Gillick, Serra…
Au rayon art, le parc offre encore une large escapade, entre vignes, sentiers escarpés et coups de mistral, pour un jeu de piste ponctué par une vingtaine d’œuvres. Et la balade-exposition sait ménager ses effets, au détour d’un muret de pierres sèches, d’un sentier de vignes, de quelques pavés gallo-romains, d’un vallon, d’une pente douce longée de bosquets, d’un pont ou d’un puits souterrain. Une certaine idée de l’art ? Pas tout à fait. La liste est brillante, prudente, alterne figures historiques et cadors contemporains, bien calée sur le marché, avec en sus quelques références distinguées aux origines irlandaises de l’hôte – Liam Gillick et Guggi.
Au-delà de la dimension best of donc, et au-delà des hyperformats, de l’habile contagion entre art et architecture, sans doute est-ce du côté de l’effet équilibriste qu’il faut chercher la discrète cohérence du parc. L’entrée avec totem protecteur donne le ton : devant le bâtiment gris velouté de Tadao Ando, un grand plan d’eau claire entouré de béton, qu’une araignée de Louise Bourgeois effleure de ses pattes-piques. La dernière bestiole de bronze que l’artiste aura vu installer. Spectaculaire et parfaitement vissée dans son environnement. Équilibre encore avec le mobile de Calder, posé lui aussi sur un plan d’eau, ou avec le portique un poil lourdaud du Brésilien Tunga, mobile XXL avec prisme de quartz suspendu à une arche en pierre de Rognes.
Équilibre toujours avec Multiplied Resistance Screened (2010) de Gillick, qui trame là un parallélépipède à grilles colorées coulissantes, pour une impeccable invite à faire et défaire des compositions/plans dynamiques. Équilibre monumental enfin avec les plaques telluriques de Richard Serra, entre tranche vive du coteau et relevé topographique, et le Wall of Light Cubed (2007) pour lequel Sean Scully empile sèchement briques de calcaire rose et grès pour un bloc plein tirant du côté du bâti. Sans oublier le Drop (2009) de Tom Shannon, forme ovoïde en acier surlustré, dont la rotation aléatoire dévore le paysage par effet miroir.
Dessus/dessous, la visite conduit également à la Oak Room (2009) du Britannique Andy Goldsworthy, tressage précaire de branches de chêne monté en un nid surdimensionné, cul par-dessus tête. Sans doute l’artiste le plus évidemment attendu dans un tel environnement, et malicieusement blotti dans un souterrain aveugle. Moins coup d’œil dans le rétro landartiste que collection majuscule habilement intégrée dans le paysage, c’est finalement du côté de l’architecture que se joue la plus fine partition, celle qui intègre art, histoire et nature. Ou la trilogie manifeste du presque maître des lieux, Tadao Ando.
« Château La Coste, promenade art et architecture », 2750, route de la Cride, Le Puy-Sainte-Réparade (13), plein tarif : 12”‰s, tous les jours de 10”‰h à 19”‰h, www.chateau-la-coste.com
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Au château La Coste - In archi veritas
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°648 du 1 juillet 2012, avec le titre suivant : Au château La Coste - In archi veritas