En 1910, un certain Friedrich Sarre déclarait « la guerre à l’orientalisme de bazar ». Un siècle plus tard, les grands musées occidentaux, dont le Louvre à la rentrée, repartent en « guerre » en ouvrant leur département d’arts islamiques
Muséographies épurées, présentation des objets par matériaux, premières études scientifiques et catalogues aux sobres photographies noir et blanc : les couleurs chamarrées de l’Orient ont disparu des expositions consacrées aux arts dits « musulmans » de 1903 à Paris et de 1910 à Munich. Devenus les « arts islamiques » ou « arts de l’Islam », ils qualifient aujourd’hui la production artistique de tous les pays sous gouvernement musulman durant la période historique, c’est-à-dire entre les VIIe et XIXe siècles. Une période de treize siècles donc et un territoire qui va de l’Espagne mauresque à l’Inde moghole.
En 2012, les muséographies renouvelées du Louvre, de l’Institut du monde arabe, du Victoria and Albert Museum de Londres et du Metropolitan Museum de New York ont conservé une sobre modernité, tandis que le Musée des beaux-arts de Montréal travaille à une salle dédiée au Moyen-Orient pour l’automne. Mais en ce début de XXIe siècle, la guerre est déclarée aux clichés, aux idées reçues et à l’hostilité du contexte politique.
Une histoire des collections européennes
Dans l’Europe du XIXe siècle, les arts islamiques sont une source d’inspiration pour les artistes français et britanniques. Et les collections s’enrichissent de « beaux » objets d’art. En 2006, la réouverture de la Jameel Gallery au Victoria and Albert Museum, le musée londonien d’arts décoratifs, n’a malheureusement pas bousculé cette conception esthétisante d’un Orient qui fascinait les Européens par ses motifs et ses techniques. À Paris, en revanche, les arts de l’Islam ont déjà quitté le département des objets d’art pour rejoindre, dans une réflexion plus historique, celui des arts asiatiques puis des antiquités orientales.
Ainsi, en septembre prochain ouvrira le nouveau département des arts de l’Islam du Musée du Louvre. En 2012, la sobriété de l’exposition de 1903 de Friedrich Sarre sur « Les arts Musulmans » est de nouveau de rigueur dans l’écrin de béton noir conçu par Rudy Ricciotti, l’architecte qui a remporté avec Mario Bellini le concours lancé en 2004. Un voile asymétrique au maillage métallique doré qualifié tour à tour de « voile », de « mouchoir de soie » ou encore de « tapis volant » couvre l’ensemble du département : une terminologie qui ne rompt pas avec un certain orientalisme, même lointain.
Mais sous ce voile, le nouveau département révèle une présentation des arts de l’Islam entièrement repensée. Le parcours commencera par une remise en cause des clichés comme la représentation aniconique ou un art exclusivement religieux. Exit les listes de dynasties absconses, les repères deviennent géochronologiques pour donner une vision d’ensemble de la civilisation islamique. Seuls la dynastie mamelouk (XIIIe-XVIe siècle) et les trois empires modernes des Safavides, des Moghols et des Ottomans seront mentionnés. Et la seule concession faite à la reconstitution d’un « décor » sera le remontage du porche mamelouk. Un parti pris bien différent de celui du Metropolitan Museum de New York qui n’hésite pas à faire venir du Maroc des ouvriers pour recréer une cour intérieure traditionnelle…
À New York, la collision de la politique et du musée
Outre-Atlantique, la réouverture du département des arts islamiques en novembre 2011 s’est accompagnée d’un changement de nom. Le nouveau « département des arts des pays arabes, de la Turquie, de l’Iran, de l’Asie centrale et de l’Asie du Sud tardive », qui ne fait pas l’économie des mots, résout partiellement la question des limites géographiques – il manque toutefois l’Espagne – et fait le choix d’une présentation par pays. Politiquement correct ? Peut-être. Car si l’Europe n’échappe pas à l’histoire de ses collections, les États-Unis, eux, n’échappent pas à leur contexte politique.
L’inauguration du département deux mois à peine après les commémorations du 11 Septembre 2001 n’est pas passée inaperçue. Le drame des attentats s’est imposé dans le projet scientifique comme le souligne Sheila Canby, en charge du nouveau département du musée new-yorkais, dans le New York Times : « Il y a aujourd’hui une plus grande curiosité [pour les arts de l’Islam], mais je pense qu’elle est motivée par les événements politiques et notamment par la guerre [en Irak]. L’histoire et la culture représentées par ces objets restent encore trop méconnues, et notre but est de changer cela. »
Des arts de l’Islam au monde arabe
Autre intitulé, autre contexte. À Paris, le musée de l’Institut du monde arabe présentait jusqu’en 2008… les arts de l’Islam. Le musée vient de rouvrir ses portes au « monde arabe » à proprement parler. Mais la confusion reste vivace dans les esprits. Carrefour commercial, linguistique et culturel, berceau des trois religions du Livre, le monde arabe ne s’est jamais résumé à la culture islamique. « Le monde arabe n’est pas une unité, mais une diversité », insiste Marie Foissy, chef du projet scientifique du musée de l’IMA qui rappelle « qu’en matière de culture, il n’y a pas de majorités et de minorités. Ce sont uniquement des termes politiques. » Dont acte.
Le nouveau parcours dans les collections de l’IMA commence par une plongée visuelle et sonore parmi toutes les populations et les langues qui composent actuellement cet espace géographique. Le constat est le suivant : « L’existence sur un même territoire géopolitique de différentes sociétés porteuses de cultures et de langues diverses. » Le projet s’est donc élaboré autour d’une réflexion anthropologique, et non à partir des collections de l’IMA, trop réduites et essentiellement islamiques.
Mais point d’incursion du politique dans le sanctuaire muséal. Il faut pour cela descendre quelques étages, dans les salles d’expositions temporaires de l’Institut. Des thèmes comme « La révolution en Tunisie » ou « Le corps et la nudité dans l’art arabe moderne et contemporain » ouvrent le débat et tentent de bousculer les idées reçues. Comme tentent de le faire, chacun à leur manière, le Louvre et le Met.
En septembre 2012, les nouvelles salles du huitième département du Musée du Louvre seront ouvertes au public. La collection d’art islamique du musée bénéficiera d’un nouvel espace d’exposition, de 3 800 m2 sur deux niveaux, conçu dans la cour Visconti par les architectes Rudy Ricciotti et Mario Bellini. Plus de 3 000 pièces seront ainsi exposées sur les plus de 18 000 que compte la collection du musée.
Lancé en 2004, le concours pour l’aménagement de ce nouvel espace reposait sur le thème de l’Islam comme « art de la lumière ». Les architectes ont imaginé un cube de verre en rez-de-cour et de béton noir au niveau inférieur ; l’ensemble est couvert d’un voile fait d’une structure métallique couleur or. Trois sas permettent d’accéder depuis l’intérieur du musée au premier niveau d’exposition, où l’on admirera autant les façades de la cour Visconti et la structure du voile, un peu moins doré vu de dessous, que les objets. Le premier niveau plonge en mezzanine sur le second desservi par un escalier fait d’un seul bloc de béton noir. Les prouesses architecturales ne manquent pas : l’escalier à coque de bateau coulé en une fois, le voile posé sur huit fins piliers et la galerie consacrée à l’art du livre creusée sous le Louvre. Les quelques fondations du palais laissées apparentes au plafond répondent à l’architecture du porche mamelouk, remonté non loin. Les vitrines en rangs serrés attendent désormais leurs œuvres dans cet écrin noir aux reflets dorés car, ultime détail, le béton est parsemé au sol de paillettes de laiton.
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Arts de l'Islam
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- Institut du monde arabe, 1, rue des Fossés-Saint-Bernard, Place Mohammed-V, Paris-5e. Ouvert du mardi au jeudi de 10 h à 18 h et le samedi et dimanche jusqu’à 19 h. Nocturne le vendredi jusqu’à 21 h 30. Tarifs : 8 et 6 euros. www.imarabe.org
- Ouverture du département des Arts de l’Islam au Musée du Louvre en septembre 2012. www.louvre.fr.
- Le « département des pays arabes, de la Turquie, de l’Iran, de l’Asie centrale et de l’Asie du Sud tardive » du Metropolitan Museum de New York est rouvert depuis novembre 2011. Ouvert du mardi au jeudi et le dimanche de 9 h 30 à 17 h 30, le vendredi et le samedi jusqu’à 21 h. www.metmuseum.org
- Ouverture à l’automne 2012 de la salle consacrée au Moyen-Orient au Musée des beaux-arts de Montréal. www.mbam.qc.ca
- La Jameel Gallery consacrée aux arts islamiques au Victoria and Albert Museum à Londres est rouverte depuis juillet 2006. www.vam.ac.uk
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°647 du 1 juin 2012, avec le titre suivant : Arts de l'Islam