Orlan, un esprit saint dans un corps feint

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 24 juillet 2007 - 768 mots

Proche de l’art corporel, Orlan défend depuis plus de quarante ans l’idée d’un « art charnel » à l’appui d’une large production d’images polymorphes puissamment expressives.

Elle n’a que dix-sept ans et elle utilise déjà son corps comme sculpture dans toute une série de photographies où, sur fond de drap immaculé, elle donne naissance à un être inerte, hybride et androgyne.
Peinture, sculpture, photographie, poésie, danse, yoga, théâtre, etc., Orlan – qui est née en 1947 à Saint-Étienne – s’engage dès son plus jeune âge dans une aventure de création dont le corps – le sien – est l’élément central. Tout à la fois médium et image, prétexte et symbole, matériau et objet fétiche.

En 1977, derrière la photo de son buste, Orlan s’apprête à entrer dans l’histoire
Après avoir multiplié nombre d’actions performantes – Marches au ralenti, MesuRages, Tableaux vivants, Une homme et un femme… – Orlan entre en contact à Paris, au début des années 1970, avec les mouvements féministes et fréquente le milieu de l’art corporel.
En 1974, après un voyage en Italie, elle conçoit ses premiers autoportraits en madone, réalisant un ensemble de dix-huit photographies intitulé Strip-tease occasionnel à l’aide des draps du trousseau. Celles-ci présentent comme une séquence de déshabillage progressif qui débouche sur l’image de la Vénus de Botticelli puis sur celle d’une étrange chrysalide.
Trois ans plus tard, Orlan propose aux visiteurs de la FIAC Le Baiser de l’artiste en échange d’une simple pièce de cinq francs. L’artiste est assise derrière une photo de son buste grandeur nature à côté de son effigie en madone. Sa prestation déclenche un énorme scandale et elle se voit renvoyée de l’école de formation d’animateurs socioculturels où elle enseigne depuis plusieurs années ! C’est le début de la reconnaissance.
Fondatrice de l’association Environnement-Comportement-Performance, Orlan développe son travail dans le domaine de la vidéo pour laquelle elle organise un symposium international à Lyon. En 1979, opérée d’urgence pour une grossesse extra-utérine, elle se fait filmer et envoie les cassettes au fur et à mesure de l’opération à l’Espace lyonnais d’art contemporain. C’est le premier acte d’une démarche qui va connaître un développement considérable.
Attentive aux progrès des techniques de communication, Orlan crée au début des années 1980 la première revue d’art sur Minitel. Installée à Paris, elle est sur tous les fronts. Elle réalise une vidéo, Mise en scène pour un grand Fiat, conçoit une installation multimédia Sainte Orlan bénit la performance, expose Mise en scène pour une assomption, rend un Hommage à Robert Filliou, participe à Femmes cathodiques, le festival de vidéo Simone de Beauvoir, etc. : autant d’actes qui contribuent à asseoir sa réputation.

À la série des métamorphoses chirurgicales s’ajoutent les manipulations digitales
En 1990, Orlan commence la série de ses fameuses performances chirurgicales sous le titre générique de La Réincarnation de sainte Orlan. Dénonciation des pressions sociales exercées sur le corps, surtout celui de la femme, cette performance relève aussi d’une réflexion autour de l’idée de beauté. À New York, en 1993, année de son mariage avec Raphaël Cuir, elle se fait implanter deux bosses en silicone de part et d’autre du front. Conçue comme une véritable expérience artistique, celle-ci est retransmise par satellite vers différents lieux d’art. En décembre, suite à une neuvième opération, Orlan met fin à la série.
À partir de 1998, Orlan s’en prend à tous les standards de beauté de l’histoire. Empruntant ses modèles à toutes les civilisations, elle les hybride par ordinateur avec sa propre image pour brosser une étonnante galerie de Self-Hybridations. Le succès est total et ses photographies digitales sont primées à plusieurs reprises. À celles-ci, Orlan associe par la suite des sculptures en résine, dites Mutants hybrides, qui sanctionnent la dimension incarnée de sa démarche. Parallèlement, elle développe un projet entamé en Inde dès 1992, Le Plan du film, série d’affiches de cinéma, de bandes sonores et de bandes annonces sur des films fictifs.
En 2004, pour sa dernière exposition au Centre national de la photographie, Régis Durand organise la plus importante rétrospective de l’artiste. Intitulée « Orlan 1964-2004, méthodes de l’artiste », elle est l’occasion de prendre toute la mesure de l’ampleur et de la diversité d’une œuvre résolument singulière.

Biographie

1947 Naissance d’Orlan à Saint-Étienne. 1964 Premières performances à l’âge de 17 ans. Pratique les arts plastiques, le théâtre et le yoga. 1977 Fait scandale à la Fiac avec son happening le Baiser de l’artiste. 1984 Enseigne aux beaux-arts de Dijon. 1990 Début de La Réincarnation de sainte Orlan, série de performances chirurgicales. 1993 Mariage avec l’historien d’art Raphaël Cuir. 1998-1999 Prix de la Griffelkunst d’Hambourg et prix Arcimboldo pour Self-Hybridations. 2004 Rétrospective au Centre national de la photographie à Paris. 2007 Vit et travaille à Paris.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°592 du 1 juin 2007, avec le titre suivant : Orlan

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