Monaco rejoue la révolution russe

Par Itzhak Goldberg · lejournaldesarts.fr

Le 24 juillet 2015 - 518 mots

MONACO [24.07.15] – Le Forum Grimaldi sous la houlette de Jean-Louis Prat a rassemblé un ensemble impressionnant de chefs-d’œuvre de l’avant-garde russe du début du XXe siècle.

Ils sont venus, ils sont tous là. On ne saura jamais par quels moyens l’ancien directeur de la Fondation Maeght (qui y avait déjà organisé une de ses premières expositions sur l’avant-garde russe en 2003) arrive à obtenir tant d’œuvres majeures. Les principaux musées russes – ceux de Moscou ou de Saint-Pétersbourg –, mais d’autres aussi, moins connus, aux confins de ce pays, ou encore des collections privées, ont été toutes mises à contribution pour un vaste panorama des premières décennies du XXe siècle.

Au centre du Forum Grimaldi trône la maquette du Monument à la IIIe Internationale (Tatline, 1919), une énorme archi-sculpture réalisée à la gloire de la révolution. Sur un côté de la salle : l’Introduction au théâtre juif, imposante « fresque » peinte en 1920 par Chagall pour le Théâtre juif de Moscou et prêtée par la galerie Tretiakov. En face : Le Carré, Le Cercle et La Croix de Malevitch. Suivent les travaux de Rodtchenko et Filonov, Popova et Exter, Larionov et Gontcharova, Kandinsky et Jawlensky… la liste est interminable.

L’originalité du parcours encyclopédique ici proposée au spectateur est dans la volonté d’introduire des repères chronologiques à ce formidable élan qui marqua la Russie qui était alors en train de devenir l’Union Soviétique. De fait, trop souvent, cette période fut présentée uniquement comme une réponse aux courants qui se développent en Europe occidentale, avec Paris en point de mire. On découvre que, même si les artistes russes ont eu connaissance de ces différentes mouvances esthétiques, ils les assimilent et recyclent à une vitesse record. A leur façon, toutefois.

Ainsi, si le primitivisme en France ou en Allemagne s’inspire de l’art africain ou ibérique, Malevitch ou Gontcharova n’ont qu’à se tourner vers l'imagerie populaire des scènes paysannes – les louboks. De même, si le cubisme et surtout le futurisme avec son côté prosélyte (Marinetti fait des conférences à Moscou) ont un impact important, il devient cubo-futurisme en Russie, selon un mélange de ces deux mouvements pratiqué par Malevitch, ou encore rayonnisme, cette version fractale du cubisme « inventée » par le couple Larionov-Gontcharova. Puis, l’abstraction est présentée dans sa version radicale par Malevitch et Rodtchenko. Les quelques travaux de ce dernier sont un des moments forts de l’exposition, car on y trouve outre les quasi-monochromes ou les toiles recouvertes de formes géométriques, une œuvre étonnante qu’on pourrait aisément attribuer à Joan Mitchell, un demi-siècle plus tard (Abstraction-Rupture, 1920). On peut également admirer les Contre-reliefs d’angle de Tatline (1914), ces puissantes sculptures suspendues, fabriquées en matériaux inhabituels (fer, cuivres, câbles) ou encore les représentations d’un espace non euclidien avec Matiouchine ou Klioune (Mouvement dans l’espace, 1921, Lumière rouge sphérique, 1923). On oublie presque que l’utopie rêvée par tous ces artistes révolutionnaires cache souvent des affrontements idéologiques et personnels, des visions différentes d’un nouveau monde.

Quelques années plus tard, le régime mettra fin à cette alliance unique entre l’avant-garde artistique et politique quand tout cela sera balayé par l'orthodoxie réaliste-socialiste

De Chagall à Malevitch

Jusqu’au 6 septembre, Forum Grimaldi, 10, avenue Princesse Grace, 98000 Monaco, Tél. 377 99 99 3000, www.grimaldiforum.com, tlj 10h-20h.

Commissariat : Jean-Louis Prat
40 artistes
150 oeuvres

Légende Photo :
Kazimir Malévitch, Carré noir (circa 1923), Croix noire (circa 1924) et Cercle noir (circa 1925) - Collection du Musée national russe, Saint-Pétersbourg

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