La Bibliothèque Kandinsky du MNAM/Centre Pompidou et l’Institut national d’histoire
de l’art publient une sélection des riches archives de Victor Brauner.
En 1986, la Bibliothèque Kandinsky du Musée national d’art moderne (MNAM)/Centre Georges Pompidou hérite des archives de Victor Brauner (1903-1966) : des centaines de textes et correspondances de l’artiste avec ses amis, peintres, écrivains ou marchands tels René Char, Gherasim Luca, Yves Tanguy, Peggy Guggenheim, Julien Levy et Roberto Matta. Camille Morando, docteur en histoire de l’art, chargée de cours à l’université Paris-I, assistante de documentation au MNAM, et Sylvie Patry, conservatrice du patrimoine au Musée d’Orsay, ont trié, sélectionné et analysé ce riche ensemble pour en restituer une vision cohérente.
Les limites chronologiques de cette étude (1938-1948) répondent à un souci de lisibilité et à une période clef de la vie de Brauner, marquée en 1938 par la perte de son œil gauche – l’artiste invente alors le terme de « frontières noires », qui limitent en partie sa vue – et, en novembre 1948, par son exclusion définitive du groupe surréaliste par André Breton. « À nul autre moment de son existence, le recours à l’écriture ne paraît avoir autant “engagé sa vie” et son art. Elle est alors dotée d’un pouvoir magique : comme les tableaux et les dessins, les textes deviennent des talismans protecteurs », expliquent les deux auteures. Ces dernières se sont autorisées à corriger quelques fautes qui nuisaient à la compréhension des textes, mais ont conservé les néologismes introduits par Brauner, témoins essentiels de son état d’esprit et de ses sujets de prédilection. Dans un brouillon postérieur à la Seconde Guerre mondiale, Brauner prévenait le lecteur : « Quelques précautions à prendre avant de me lire. À accepter les fautes (orthographe et syntaxe). À admettre la dialectique de digression de cet amalgame : pensées-sensations jetées à la dérive devant vos yeux. Ceci naturellement en vous remerciant d’avance de votre patience et de votre gentillesse de vouloir me pardonner ces apparences difficiles qui enveloppent le sens de ma démarche par la voie des mots. »
Des mots et des signes
Dans ses textes, Brauner élabore une graphie particulière : plutôt qu’une rature, il introduit un croquis, modifie le tracé de ses lettres, invente des lettrines, remplace son nom par le signe infini… « L’écriture devient alors le lieu de l’invention permanente d’un style propre », précisent Camille Morando et Sylvie Patry. Inventeur de sa propre écriture, Brauner fait aussi preuve d’une grande créativité dans les genres abordés. Il rédige un journal dans lequel prennent place des essais (dont certains seront publiés) ; consigne ses projets, ses lectures ou ses sentiments amoureux ; se lance, à partir de mai 1941, dans une fiction (qui comporte quantité de brouillons), et inscrit dans ses carnets de nombreuses notices d’œuvres. Il faudrait évoquer encore ses poèmes en prose, ses réflexions sur les multiples possibilités du surréalisme et, surtout, cette écriture « pour soi », les lettres envoyées, recopiées ou fantasmées que les destinataires n’ont probablement jamais reçues…
Intelligemment mises en exergues par Camille Morando et Sylvie Patry, les archives Brauner attestent de cette « nécessité de l’écriture » pour l’artiste, révélant « une nouvelle approche de son œuvre plastique ».
Camille Morando et Sylvie Party (sous la direction de), Victor Brauner. Écrits et correspondances (1938-1948), coéd. Centre Pompidou/Institut national d’histoire de l’art, Paris, 2006, 416 p., 59,90 euros, ISBN 2-84426-283-X.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Une question de caractères
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°231 du 17 février 2006, avec le titre suivant : Une question de caractères