L’université Paris-Descartes coédite avec La Martinière Une histoire de la médecine. Pour le généticien Axel Kahn, préfacier et président de la faculté : « Un livre artistique de l’histoire de la pensée médicale. »
Fabien Simode : Axel Kahn, vous préfacez une histoire de la pensée médicale qui est autant un livre d’histoire de la médecine qu’un livre d’art. Comment est né le projet de cet ouvrage ?
Axel Kahn : Yvan Brohard, historien d’art, est venu un jour me voir et m’a dit : « M. le président, les médaillons sculptés qui ornent la façade du centre universitaire des Saints-Pères ont été pour la plupart réalisés par des grands prix de Rome. Seriez-vous d’accord pour en faire une publication et les sortir de l’oubli ? » La majorité des étudiants-chercheurs n’avaient auparavant jamais levé les yeux sur ces médaillons. Moi-même, lorsque j’étais étudiant aux Saints-Pères, je ne les avais jamais regardés. Or, j’ai de l’Université une conception qui implique le rayonnement.
Pour moi, l’Université est sans doute l’un des derniers refuges d’un dessein de civilisation. Autrement dit, le refuge d’une communion entre des personnes appartenant à des disciplines différentes à travers des créations de l’esprit. Parmi ces créations, il y a celles qui relèvent de la raison et puis toutes celles qui dépendent de l’émotion esthétique. Et cette dernière me passionne en ce qu’elle est un trait spécifiquement humain.
Dans un précédent essai, L’Homme, ce roseau pensant, j’ai écrit un article sur la beauté. En arrivant à la présidence de l’université Paris-Descartes, j’ai tenu à ce que l’on réfléchisse à la spécificité de cette création artistique. J’ai milité pour que l’on organise des expositions, comme celle sur « Le corps en mouvement » [au Réfectoire des Cordeliers, du 7 au 23 avril 2011]. Par ailleurs, l’une de mes premières décisions lors de mon élection à la présidence en 2007 a été de créer une cellule de médiation culturelle.
Mais il y a aussi une dimension utilitaire à mon projet. L’Université autonome doit aujourd’hui nourrir le sentiment d’appartenance, et le partage d’une émotion esthétique peut établir ce lien. Ce n’est pas un hasard si les Églises, les cultes ont été à l’origine de la création artistique durant plusieurs siècles…
F.S. : Peut-on établir un parallèle entre le progrès scientifique et médical et celui de l’art ?
A.K. : Il y a un parallèle évident jusqu’au XIXe siècle. L’histoire de la médecine, c’est l’histoire de la découverte du corps humain. Or le corps a longtemps été l’expression artistique par excellence. Pendant près de deux mille quatre cents ans, la médecine n’a pas fait autre chose que d’observer le corps. Et sa représentation, que ce soit dans un but esthétique ou à des fins scientifiques, a amené à utiliser des techniques artistiques.
Il y a dans La Fabrique du corps humain de Vésale [1543] des gravures d’une beauté artistique absolue ! Certaines ressemblent même à l’Adam et Ève de Dürer. Les anatomies des beaux-arts étaient les mêmes qu’en médecine.
F.S. : Est-ce à cause du corps humain que ce livre, qui part d’Hippocrate (460-370 av. J.-C.), s’arrête au XIXe siècle, précisément là où commencent la modernité et l’abstraction ?
A.K. : Oui, parce que c’est un livre sur l’histoire de la pensée médicale, et non pas sur l’histoire de la science médicale. Dans la mesure où nous voulions adosser notre propos aux beaux-arts, il était nécessaire de s’arrêter au moment où les deux disciplines ont divergé. Aujourd’hui, il y a bien des croisements entre l’art et la science, mais il s’agit clairement de disciplines différentes.
F.S. : Qu’est-ce qui, au XXe siècle, a permis cette rupture ?
A.K. : La science s’est tout simplement mise à créer ses propres images, à produire une beauté singulière. Car ses images sont souvent d’une très grande beauté. Elles utilisent presque systématiquement des conventions esthétiques, avec des couleurs artificielles… Et, en cela, la relation entre les deux disciplines s’est inversée.
Dans la science, il y a toujours une recherche esthétique inconsciente. Mon frère Olivier Kahn [1942-1999], grand chimiste qui inventait des molécules complexes douées de propriétés magnétiques, a signé un éditorial dans la revue Science où il comparait ses molécules concaténées à un collier qu’un orfèvre eût créé pour le cou d’une femme aimée. Lorsque vous parlez à un physicien, il attache lui aussi beaucoup d’importance à la beauté de sa théorie. Il a parfois même le sentiment que si la théorie n’est pas belle, elle a peu de chance d’être exacte.
F.S. : Êtes-vous pour l’enseignement des arts aux futurs médecins ?
A.K. : Non, pas pour un enseignement. En revanche, pour la possibilité offerte aux médecins d’accroître leur sentiment esthétique : oui. Il me semble fondamental de développer l’enseignement de la philosophie morale, mais pas celui de l’histoire de l’art. Ce qui n’interdit pas à mon université de faire un effort considérable sur le plan culturel, notamment à travers l’aide aux associations d’étudiants à finalité culturelle.
F.S. : Quelle est la nature du patrimoine du centre des Saints-Pères ?
A.K. : Le bâtiment est de style néoclassique, mais à une période où le néoclassicisme a perdu un peu d’austérité, sans surcharge, ce qui a donné naissance à des architectures très harmonieuses. Notre cour comme le grand amphithéâtre sont deux merveilles du genre.
Parallèlement, nous possédons un ensemble inimaginable d’œuvres peintes et sculptées. Dans la salle à manger est exposé un Nattier ; dans le grand salon, une tapisserie des Gobelins ; ici, un Girodet [Hippocrate refusant les présents d’Artaxerxès]. Par ailleurs, notre bibliothèque de médecine, pour être moins ancienne que celle de Montpellier [qui a été fondée au XIIe siècle], détient de superbes manuscrits à compter du XVe siècle. Elle est sans doute l’une des trois plus riches bibliothèques au monde.
F.S. : Songez-vous à augmenter ce patrimoine en passant, pourquoi pas, des commande aux artistes ?
A.K. : Nous nous y essayons, en sachant que cela soulève des questions financières. Notre priorité reste d’entretenir notre patrimoine et de le mettre en valeur lors, par exemple, des Journées du patrimoine. Ensuite, nous avons à cœur de monter de grandes expositions. Notre patrimoine étant situé au centre de Paris, nous avons aussi pour mission le rayonnement de la ville.
Plutôt que de passer commande, nous défendons un principe de collaboration avec des artistes qui nous laissent au final des œuvres, comme avec Lydie Arickx, que nous avons accueillie ici. Mais les moyens de l’université sont avant tout destinés à l’enseignement et à la recherche.
F.S. : Vers quelles œuvres se porte votre propre sensibilité artistique ?
A.K. : Je suis en la matière très éclectique. Mais j’ai une passion pour la sculpture baroque. L’Extase de sainte Thérèse du Bernin, à Rome, est une œuvre inouïe. La Mise au tombeau de Chaource [école troyenne du XVIe siècle] est aussi d’une beauté prodigieuse. Et la très grande beauté est capable de me faire pleurer, car elle ne saurait être absente du bonheur.
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Une histoire de la médecine
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°636 du 1 juin 2011, avec le titre suivant : Une histoire de la médecine