Phaidon traduit un ouvrage de référence sur l’art environnemental, mais fait l’impasse sur les textes critiques et propos d’artistes qui font la richesse de l’édition anglaise.
Paru en 1998 chez Phaidon dans sa version originale en langue anglaise, Land art et art environnemental est aujourd’hui le premier titre traduit d’une collection remarquable de livres importants sur l’art moderne et contemporain qui satisfont tant à l’usage « beau livre d’images » qu’à celui de titre de référence pour amateurs et étudiants. L’Arte povera, le minimalisme, le surréalisme, la photographie, le féminisme, le corps de l’artiste : le catalogue dessine une ambition réelle qui rend heureuse la perspective de l’édition française des autres titres parus.
Beuys et Giono
Mais le passage en v. f. fait perdre au volume initial une de ses richesses : une anthologie bien choisie, qui suit le découpage des chapitres de l’album, de textes critiques comme de propos d’artistes. Cent pages qui manqueront à l’édition française (comme manque la francisation de la bibliographie) pour répondre vraiment à ce double marché qui voit curieux et savants acheter le même livre. N’y a-t-il pas dans cette double ambition l’une des conditions de survie des livres sur l’art ? (Il y en a une en tout cas pour les essais sur l’art.) L’économie réalisée est-elle un bon calcul ? Ce n’est pas si sûr. D’autant que, du coup, le livre est déséquilibré par la perte de ces voix, qui souvent donnent une épaisseur historique aux œuvres. Le point de vue forcément américain des auteurs s’en trouve privé de contrepoids. Ainsi Beuys est réduit par le texte à sa seule œuvre américaine (Coyote, 1974) alors que l’entretien publié dans la version anglaise mentionnait par la bouche même de l’artiste des références autrement inattendues au travail, comme le druidisme et l’œuvre de Jean Giono.
Mais il est vrai que Beuys revient pour une page double consacrée à 7 000 Chênes (1982-1987) : car voilà bien l’âme du livre, qui le rend précieux au-delà des reproches. Le volume en effet dessine un paysage ouvert autour du land art historique, et problématise à raison l’élargissement des questions à l’espace urbain, à l’écologie ou aux pratiques sociales. Près de trois cents images dont les deux tiers en couleur offrent un regard sur le versant le moins naturaliste du travail des artistes dans l’espace ouvert. Certains moins connus telle Ana Mendieta trouvent leur place à côté d’œuvres et de démarches comme celle, très prégnante tout au long du livre, de Robert Smithson.
Il y a, dans ces pages illustrées qui voient des légendes developpées venir compléter les planches, bien trop peu d’européens pour répondre d’une histoire globale, mais il est vrai que Colette Garaud avec son Idée de Nature dans l’art contemporain (Flammarion) ou Nature, art, paysage de Gilles Tiberghien (Actes Sud) offrent d’autres géographies et histoires aux œuvres et aux idées. Reste à suivre, y compris dans leur parti pris, Jeffrey Kastner pour la conception d’ensemble et Brian Wallis pour l’essai qui ouvre le livre : la perspective qu’ils tracent est ouverte, sinon complète, rendant leur livre indispensable.
Jeffrey Kastner et Brian Wallis, Land art et art environnementaL, trad. française, éd. Phaidon, 2004, 208 pages, 206 illustrations couleur, 95 n & b, 49,95 euros, ISBN 0-7148-9412-5.
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Un beau point de vue sur le paysage
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°206 du 7 janvier 2005, avec le titre suivant : Un beau point de vue sur le paysage