Portrait d’une œuvre

Depuis Les Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes de Giorgio Vasari qui, au XVIe siècle, donnaient chair à quelque deux cents grands artistes qui avaient vécu dans les trois siècles écoulés, les biographes ont sans doute pris l’habitude de rendre les vies des grands créateurs plus belles, plus intenses, bien plus palpitantes que celle de tout un chacun, agrémentées d’anecdotes sémillantes et marquées par une vocation précoce et sublime qu’aucun obstacle n’aura pu contrarier. Celle d’Anselm Kiefer par José Alvarez est tout autre, teintée de pudeur et de cette « affection dans la distance » que, précisément, l’auteur chérit chez l’artiste. Si on y apprend quelques éléments de la vie personnelle de Kiefer – un grand bateau en bois soigneusement confectionné et calfaté à la cire pour qu’il ne coule pas par le jeune Anselm et jeté par sa mère, mais aussi ses mariages, ses divorces, l’affection portée à ses enfants… –, ils ne sont souvent qu’évoqués et disparaissent derrière l’œuvre, qui constitue la chair de cette biographie illustrée. « L’œuvre fai(t) corps avec la biographie chez Anselm Kiefer », conclut d’ailleurs l’auteur – en reconnaissant aussi que l’amitié qui les lie lui impose une certaine pudeur. Sans doute regrette-t-on de ne pas voir l’artiste Anselm Kiefer davantage prendre chair au fil des pages. Mais peut-être, au fond, y gagnons-nous : cette vie vue par les yeux d’un ami nous apprend à contempler le mystère d’un être qui s’efface derrière son œuvre magistrale. Cette dernière, mise à l’honneur par le Grand Palais en décembre 2021 et janvier 2022 après avoir investi le Panthéon en 2020, devient ainsi le véritable sujet de ce livre envoûtant.