« Oser le nu » combat les idées reçues sur la production de nus par les artistes femmes du Moyen Âge à 1993. Il s’inscrit dans une vision positive de l’histoire du genre.
Historienne et historienne de l’art, Camille Morineau a fait ses études aux États-Unis au contact des pionnières des études de genre. Quelques années après l’exposition « elles@centrepompidou » (2009-2011) dont elle était la commissaire, elle quitte le Musée national d’art moderne pour fonder et diriger Aware, une association qui gère un centre de documentation sur les artistes femmes de toutes périodes et un site Internet où l’on trouve notamment des fiches sur ces artistes. Elle publie un ouvrage sur le nu représenté dans l’histoire par les artistes femmes.
Dès le Moyen Âge, à des moments où les femmes sont autorisées à être savantes, artistes, inventrices, elles montrent des nus. Avec l’art maniériste et baroque, on constate une forte présence des Italiennes. Elles peignent des nus érotiques ou parlent de la puissance des femmes à travers des figures mythologiques. Puis, au moment des Lumières, des femmes membres de l’Académie de peinture et de sculpture fréquentaient le milieu des femmes philosophes. Le nu est alors un peu plus retenu : c’est le début du libertinage et ces artistes ne vont pas là où les hommes expriment une chose qui n’est pas forcément glorieuse.
Au XIXe siècle, le scandale du nu passe d’abord par les hommes, aussi bien dans la littérature que dans la peinture et la sculpture. Mais très vite, les femmes s’emparent du sujet avec une grande liberté qui se poursuit de la fin du XIXe siècle jusqu’à aujourd’hui. Dans les années 1920, le nu va littéralement faire corps avec la modernité et les femmes vont en être vectrices, la porter.
Il ne s’agit ici plus seulement du nu mais des femmes artistes en général. Mais c’est lié, parce que le nu est le plafond de verre à l’intérieur du plafond de verre des femmes. On a alors cru qu’il n’existait pas de nus signés par les femmes parce qu’elles étaient empêchées à tous les niveaux. De manière absurde, on imaginait qu’elles n’avaient pas accès au corps. Pourquoi les années 1950 ? Parce qu’il s’agit d’un moment où la discipline de l’histoire de l’art, qui existait déjà depuis assez longtemps, se concrétise à la fois dans des institutions et dans les manuels. Et ceux-ci vont complètement effacer les femmes alors qu’elles ont été relativement présentes au XIXe siècle dans les livres, les collections, les ateliers.
Si, jeune étudiante, je n’étais pas partie aux États-Unis, j’aurais continué ma carrière avec ces œillères. À un moment, j’ai compris que, très tôt, les femmes artistes possédaient le même niveau de savoir que les hommes, qu’elles étaient intégrées dans le marché, avaient des collectionneurs, et que les femmes puissantes, créatrices, inventrices, n’ont pas toujours été le tabou qu’elles sont devenues dans la deuxième moitié du XXe siècle. En France, je me suis longtemps sentie un peu seule à penser cela. Avec Aware, j’ai pris le parti de ne pas être dans un discours de victimisation, d’adopter au contraire un point de vue positif, comme ceux qui ont existé bien avant nous.
Je ne dirais pas forcément politique. Aujourd’hui, on le perçoit comme tel, mais c’est une question de représentativité. Le désir lesbien est présent dès le moment où le nu s’invente. Ce qui nous semble extraordinaire aujourd’hui, la représentation d’autres sexualités, ne l’était pas il y a un siècle ou même avant. Mes recherches, assez pointues, montrent que le nu LGBTQ + est là très tôt. Claude Cahun [1894-1954] avec son désir de neutralité de genre, les transitions d’artistes, les artistes bisexuels : tout ça est représenté de manière assez fidèle en photographie, en peinture, en sculpture. Quant à la représentation du corps noir, il s’agit non pas de quelque chose de politique mais d’historique, présent également très tôt et signé par des femmes. Assez vite, elles abordent des questions qu’on appelle maintenant « postcoloniales ».
Oui ! Dans les années 1960-1970, il y a eu un moment politique. Mais aujourd’hui, beaucoup d’exemples de nus parlent de questions formelles, d’histoire, de vie personnelle. Malheureusement, dans notre lecture du nu actuel, nous sommes bornés par la pornographie. Notre époque est très abîmée par cela.
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Camille Morineau : « Le nu LGBTQ+ est là très tôt »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°649 du 14 février 2025, avec le titre suivant : Camille Morineau, conservatrice du patrimoine et fondatrice d’Aware : « Le nu LGBTQ+ est là très tôt »