Les écrits sur l’architecture ont décliné et déserté la presse notamment quotidienne. Une compilation de textes fait le point
En ces temps où le consensus domine trop souvent les médias, y a-t-il encore une place pour la critique et a fortiori, pour la critique d’architecture ? Pour Rainier Hoddé et Agnès Deboulet, instigateurs de ce recueil, cette dernière serait, en effet, plus difficile à évaluer du fait de l’absence de consommateurs à comptabiliser, contrairement au cinéma, à la littérature ou aux expositions. On serait toutefois tenté de préciser que les usagers peuvent aussi en être comptables. À l’opposé des autres disciplines artistiques, la critique d’architecture bute néanmoins sur un problème spécifique : l’objet architectural, dépendant de la commande, n’est pas autonome.
Fruit d’un séminaire organisé en 1999 et de l’expérience d’un 3e cycle de l’École d’architecture de Nantes consacré à ce sujet (1996-2002), l’ouvrage, qui aurait pu paraître il y a déjà quelques années, pose les termes d’un débat sans fin. Il arrive toutefois à point nommé après la polémique suscitée récemment par le prix de l’Équerre d’argent (lire le JdA n°273, 17 janvier 2008). Cette publication tardive a, par ailleurs, permis d’y glisser in extremis quelques ultimes contributions de François Chaslin, producteur de la seule émission de critique architecturale du paysage audiovisuel (1), déjà représenté avec un texte plus ancien soulignant le manque de repères actuel dans un contexte d’hétérogénéité des tendances – baptisée savamment « intersubjectivité généralisée ». Consacrées au Musée du Quai Branly, elles consistent en un texte – jugé insuffisamment laudatif, il avait été refusé par la revue italienne Domus – se poursuivant par une très instructive fortune critique qui révèle justement… la cruelle indigence en la matière. Presse grand public ou spécialisée se sont, en effet, répandues en textes « acritiques », tout jugement objectif s’évanouissant dans les limbes de la communication.
Difficultés de la pratique
L’ouvrage n’est donc pas un manuel pour les aspirants critiques, malgré le ton professoral voire péremptoire de certains écrits (Bernard Huet), mais plutôt une compilation de textes plus ou moins anciens, inédits ou non, destinés à apporter un éclairage sur ce qu’est, peut ou doit être la critique architecturale. Dans une première partie, « Positions de critiques », quelques-uns de ces acteurs témoignent parfois d’une certaine mauvaise foi, égrenant chacun les difficultés de la pratique. Ainsi de Pierre Vago qui, dans un texte de 1964, se fait le pourfendeur de la superficialité de la critique – « les conceptions les plus rétrogrades, les élucubrations les plus inconsistantes, flattant tantôt le conformisme timoré, tantôt le goût du scandale et du sensationnel » – avant de lui trouver des excuses du fait de la susceptibilité des architectes (il l’était lui-même) et des intérêts publicitaires des revues. Frédéric Edelmann, le critique en titre du Monde, le seul quotidien à encore rétribuer un critique d’architecture, ferme le ban : « la société a les critiques qu’elle se donne ».
De l’autre côté, les récipiendaires rétorquent que les critiques manquent de culture, d’ouverture d’esprit et se font souvent les panégyristes de leurs amis, le tout dans une consanguinité ambiante où architectes deviennent critiques. Tous s’écharpent donc par textes interposés, mais sont unanimes sur un point : la critique n’est pas ce qu’elle devrait être. Car son rôle en sort pleinement réaffirmé. « Exercice d’analyse et d’interprétation des sensations perçues en relation à un ouvrage d’architecture » (Daniela Pennini), la critique aide les architectes à formaliser leur pensée, joue un rôle pédagogique à la fois pour les usagers et les donneurs d’ordres, mais aussi dans l’enseignement – la critique du maître remplace la correction – ou encore dans le cadre des concours d’architecture, où elle peut éclairer sur la validité d’un projet. L’urgence de la réhabiliter n’en est donc que réaffirmée.
(1) Métropolitains sur France Culture.
La Critique architecturale, questions, frontières, desseins sous la direction d’Agnès Deboulet, Rainier Hoddé et André Sauvage, éd. de la Villette, Paris, janvier 2008, 311 p., 14 euros, ISBN 978-2-91-545608-0.
À noter la sortie du 1er numéro de Criticat, revue bisannuelle de réflexion sur l’architecture, www.criticat.fr, 14 euros.
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Plaidoyer pour une critique
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°277 du 14 mars 2008, avec le titre suivant : Plaidoyer pour une critique