Pascal Cribier présente une compilation de ses projets dans un ouvrage paru aux éditions Xavier Barral
Au rayon jardinage, seul un dicton prévaut : « In Situ Veritas ». Pas facile donc de montrer un jardin dans un lieu d’exposition (lire le JdA n° 284, 20 juin 2008, p. 11), lorsqu’on le sait réagissant au moindre changement de vent. Moins facile encore de le figer entre les pages d’un livre. Pascal Cribier réussit ce tour de passe-passe, lui qui n’est pourtant pas magicien. Il ne sait pas trop ce qu’il est d’ailleurs. Dans cette première et exhaustive monographie consacrée à son travail, baptisée sobrement « Pascal Cribier », une ligne de sa biographie dit ainsi : « Depuis 1982 : Ne sait pas s’il est paysagiste, architecte ou jardinier ». En fait, il n’a cure de se couler dans une « case » précise. À 56 ans, si l’homme cultive une chose en particulier, c’est d’abord son franc-parler : « Je préfère discuter avec les gens qui feront le lieu que palabrer lors de réunions interminables avec les acteurs et les décideurs du paysage "démocratique" », écrit-il. Quoique féru d’essences, il ne manie pas la langue de bois : « Des dizaines de propositions et d’avant-projets ne sont pas cités [dans ce livre], ceux pour lesquels j’ai jugé bon de ne pas cautionner la bonne conscience "verte" des maîtres d’ouvrage, aussi bien publics que privés. » Hormis lesdites esquisses, écartées d’office donc, tout y figure : les bonheurs, et ils sont nombreux, autant que les échecs et déboires – en l’occurrence les projets classés « sans suite » pour cause de désistement ou autre –, ce qui, au final, trace un parcours des plus complets et intenses.
Le point de vue des saisons
L’ouvrage se compose de deux parties : « Des lieux » et « Des dates ». La première, la plus importante, montre, en photographie et par ordre alphabétique, une quarantaine de projets qui mélangent les échelles – de la terrasse aménagée (sur un immeuble de la rue Vavin, à Paris) au vaste domaine (celui d’Aramon, dans le Gard) – et les situations géographiques – du parc parisien (celui des Tuileries) au territoire situé à l’autre bout de la planète (île de Bora Bora, en Polynésie française). Qui mêle aussi les qualités des lieux – de l’espace le plus intimiste (le jardin de Pierre Bergé, à Paris) à la zone industrielle la plus ingrate (un aménagement urbain à Chassieu, dans le Rhône). « Il n’y a pas de grands ou de petits projets », résume Cribier. D’autant que le minuscule jardin privé peut parfois servir de laboratoire grandeur « nature » à des projets beaucoup plus vastes dans l’espace public.
Dans le livre, les images sont rythmées par une série de textes courts et néanmoins passionnants. Ne pouvant écrire « qu’à quatre mains », le paysagiste a fait appel à « des gens [qu’il] admire », tels le biologiste François Macquart-Moulin, l’historienne Monique Mosser ou le botaniste Francis Hallé. La seconde partie réunit les éléments « techniques » de chaque projet, comprenant une analyse précise du lieu et le détail du programme, le tout accompagné de photographies d’avant réalisation, de plans et autres axonométries de principe.
On ne lit pas cet ouvrage, on le « parcourt » au sens propre du terme. Sa structure est une réussite. Deux raisons à cela. La première tient à l’utilisation de cahiers de formats différents qui constituent autant d’entrées possibles. Ne reste plus alors au lecteur qu’à déambuler à son gré entre ces multiples « plates bandes ». Plus qu’un roman unique, un jardin est une somme de nouvelles, sans épilogue (« Dans le jardin, il n’y a pas de deuil », dixit Cribier).
Par ailleurs, chaque projet se dévoile à travers des doubles pages truffées de reproductions au format panoramique. Il s’agit souvent d’un même point de vue, pris à des saisons différentes, voire à des années de distance. Ces images sont signées (et commentées) par Pascal Cribier lui-même. La photographie est, pour lui, tout sauf un passe-temps. Elle dit le temps qui passe. Cette sensibilité sourd au fil des pages. La fragilité aussi. « Jardiner, c’est considérer à la fois le temps des météores, celui du vivant et celui de l’homme », observe Cribier. Ne pas croire pour autant que l’homme soit un tantinet fleur bleue. « Aménager, c’est embêter le monde, explique-t-il. On violente inévitablement la nature : on perturbe, on supprime même, sans s’en apercevoir, un écosystème déjà en place ou en train de reconquérir un nouvel équilibre. » Il n’est pas non plus nombriliste : « Quand on jardine, on n’est pas enivré par le vertige de soi », assure Cribier.
Pascal Cribier, Itinéraires d’un jardinier, éd. Xavier Barral, 2009, 320 pages, plus de 1 000 illustrations panoramiques, 55 euros, ISBN 978-2-915173-33-8.
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Pascal Cribier, Itinéraires d’un jardinier
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°314 du 27 novembre 2009, avec le titre suivant : Pascal Cribier, <em>Itinéraires d’un jardinier</em>