L’ouvrage mythique de Moï Ver paru en 1931 est réédité par 7L. L’occasion unique de se replonger dans l’univers singulier du photographe lituanien.
Récemment, un acteur majeur de la bibliophilie parisienne en proposait un exemplaire à 30 000 euros. Il l’a vite vendu à un amateur éclairé (et fortuné !). Paris, le fameux livre de Moshé Raviv-Vorobeichic, dit « Moï Ver », a toujours fait rêver les bibliophiles et amateurs de photographie. Cet ouvrage fut édité en 1931 aux éditions Jeanne Walter, dont ce sera le seul livre publié à 1 000 exemplaires numérotés. Pendant longtemps, on a même cru que seuls 500 exemplaires en avaient été imprimés, jusqu’au jour où furent découverts des numéros supérieurs à ce chiffre. Toutefois, il n’en reste aujourd’hui que très peu : un grand nombre aurait été brûlé pendant la guerre, Moï Ver étant juif. Outre sa raréfaction, le livre est lui-même incroyable de modernité. La préface est signée par Fernand Léger, qui adorait l’œuvre. Le peintre se retrouvait dans cette écriture cinématographique, lui-même ayant réalisé un film en 1924, Ballet mécanique. Il écrivait : « Le Beau est partout autour de nous, il fourmille, mais “il faut le voir”, l’isoler, l’encadrer par l’objectif. La cuisine du laboratoire est dangereuse si on ne sait pas s’en servir… »
La vision de la capitale par Moï Ver, en 80 photographies, mais à travers une combinaison de plus de 600 négatifs, est totalement inédite, comme la mise en page et la narration. En dehors de l’introduction ne figurent ni texte, ni légende, ce qui est révolutionnaire pour l’époque. Sur la couverture, pas de tour Eiffel mais des cheminées d’usines en surimpression de colonnades, sans doute celles de l’église de la Madeleine. La plupart des images sont en effet des surimpressions, le photographe ne cessant de jouer avec les lignes. Paris devient une mégalopole, un chaos d’impressions, un sentiment profond de vertige devant la civilisation en marche. Les piétons se confondent avec les affiches publicitaires pour le Picon, les voitures fusionnent avec les charrettes à bras… un maelström d’images, de signes et de lignes. Une vision digne du cinéma expérimental comme celui de l’Allemand Walter Ruttmann, auteur de Berlin, symphonie d’une grande ville (1927).
L’ouvrage est loin, très loin de tous les clichés que l’on trouve sur Paris… Le grand public lui préférera d’ailleurs Paris de Nuit de Brassaï et Paul Morand aux éditions Arts et métiers graphiques, paru deux ans après et sans cesse réédité chez Gallimard.
Nombreux projets non aboutis
Karl Lagerfeld, grand bibliophile, a acheté il y a quelques années l’exemplaire numéro 1 de Paris, (pour environ 15 000 dollars). Il le réédite aujourd’hui, avec son éditeur Gerhard Steidl, après d’importants ouvrages japonais (Japanese Box) et avant une autre vision de Paris, celle de l’écrivain Ilya Ehrenburg associée au constructiviste El Lissitzky. Techniquement, comme il n’existe que de très rares tirages – quelques-uns encore détenus par la femme de Moï Ver – et que la maquette originale a disparu,une reproduction très fidèle a été reconstituée à partir de l’exemplaire du styliste. Le plus difficile fut de convaincre la veuve de l’artiste !
Né en 1904 à Vilnius, en Lituanie, Moï Ver arrive à l’école du Bauhaus dans les années 1920, où il est l’élève de Kandinsky, Albers, Klee et Moholy-Nagy. Il s’installe ensuite à Paris, pour étudier à l’École de photo et de cinéma de Vaugirard et suivre les cours du soir de l’Académie Moderne de Fernand Léger. Après Paris, il publie, également en 1931, un second livre, Ein Ghetto im Osten Wilma (Éditions Orell-Füssli, Zurich 1931). Adepte du sionisme, il s’installe en 1934 en Palestine. Devenu peintre, graphiste et dessinateur de meubles, il est l’un des fondateurs en 1959 de la colonie pour artistes de Safed en Israël, où il s’éteint en 1995.
Outre ses deux livres, Moï Ver avait réalisé de nombreuses maquettes de projets qui n’ont jamais pu voir le jour et ont disparu. Mais la galerie Wilde à Cologne vient de rééditer un autre livre de Moï Ver, Ci-contre, dont il avait réalisé en 1931 une maquette, avec tous les tirages. Celle-ci avait été envoyée au célèbre photographe allemand Franz Roh, qui devait l’éditer dans sa collection « Fototek ». Avec l’arrivée du nazisme, cette fameuse maquette fut cachée… si bien cachée qu’elle réapparut seulement dans les années 1980 et fut exposée pour la première fois en 1987. Elle appartient désormais à un musée de Hanovre. Cette réédition est tirée à 2 000 exemplaires (dont 400 en langue française).
Réédition aux éditions 7L/Steidl. Tirage limité à 1 000 exemplaires, sous coffret. 240 euros chez les libraires spécialisés parisiens comme 7L, Colette, Comptoir de l’image ou 213. Ci-contre, de Moï Ver, est en vente en exclusivité chez 213 (environ 100 euros).
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Paris en surimpression
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°205 du 17 décembre 2004, avec le titre suivant : Paris en surimpression