Jeff Wall est fréquemment considéré comme le dernier maillon de la peinture d’histoire. Par le biais de la photographie, celui-ci a indéniablement remis au goût du jour, et non sans un
détour par le langage cinématographique, ces grandes machines qui hantaient les salons du XIXe siècle. Encadré par
deux dialogues inédits avec Jean-François Chevrier, le recueil d’essais et d’entretiens qui est aujourd’hui édité par l’École nationale supérieure des beaux-arts reprend un
peu tous ces éléments à la source : la photographie,
le cinéma et l’histoire de l’art.
En partie éclipsée par la force visuelle de l’œuvre de Jeff Wall, la “pratique théorique” de ce dernier – pour reprendre son expression – reste peu connue, à l’inverse de celle de quelques-uns de ses proches, comme Dan Graham. Elle est pourtant, comme le rappelle l’intéressé, au centre de à ses recherches des années 1970. Enseignant, ce dernier conçoit cours et conférences dans l’optique de l’écrit, envisageant la critique d’art comme un genre littéraire à part entière. C’est dans ce cadre que Jeff Wall tente un temps de construire “une histoire critique du modernisme”. Si celle-ci n’a jamais vu le jour, il en reste quelques traces disposées çà et là dans les textes qui jalonnent ce recueil d’essais et d’entretiens. Le fruit de ses recherches est en premier lieu exploité dans un article sur Manet (“Unité et fragmentation dans l’œuvre de Manet”, originellement paru en 1984 dans la revue Parachute). Alors au sommet de son art (les premiers tableaux photographiques de Wall datent de la fin des années 1970), le photographe s’accroche à déceler chez le peintre “une image qui est celle de la nécrose de la modernité” et à faire de la figure du commencement une fin, une “pierre tombale du salon” sans successeurs.
Plus loin, cette idée se retrouve dans ses écrits sur ses contemporains, artistes, arrivés comme lui à la fin du grand récit moderne. Stephan Balkenhol est ainsi prétexte à revenir sur le pourquoi de la fragmentation dans la sculpture moderne. Le travail de On Kawara sert, lui, à croiser histoire du monochrome, peinture d’histoire et photojournalisme. Mais le plus important texte consacré à un tiers reste l’étude de Alteration to a Suburban House, projet pour un pavillon de banlieue hybride réalisé en 1978 par Dan Graham. Originellement publié en 1985 et traduit en 1988 aux éditions Daled-Goldschmidt, Kammerspiel de Dan Graham règle ses comptes à la modernité dévoyée par la transparence architecturale des multinationales, tout en revenant sur les impasses de l’art conceptuel et sur son “esthétique bureaucratique”. C’est d’ailleurs engagé dans ce mouvement que Wall a fait ses débuts, entre écriture et image, une période sur laquelle il revient peu dans les entretiens publiés ici, préférant asseoir son rapport entre peinture et photographie, sans rupture. “J’ai compris qu’il ne s’agissait pas d’attaquer ou de détruire, qu’il n’était pas question de violence, mais qu’il s’agissait d’une exploration militante de la légitimité de la tradition”, résume-t-il à Jean-François Chevrier dans le dialogue inédit qui ouvre le livre. Autre intérêt majeur, la série d’entretiens rassemblés ici où Jeff Wall, qui, parallèlement à des commentaires sur ses propres œuvres (l’absence complète d’illustrations est là particulièrement frustrante), dévoile ses sources et influences. Ainsi du cinéma, dont l’artiste utilise, outre les moyens, les artifices et les fictions, en naviguant dans une généalogie où s’ouvrent des espaces souvent peu visités dans la sphère des arts plastiques. “J’ai préféré Mouchette à Week-End, et je me suis intéressé à la conservation des codes classiques du cinéma comme le faisait Buñuel, Rohmer, Pasolini, Bergman, Fassbinder et Eustache qui ont tous réalisé des choses très neuves d’une façon que je qualifierais de non-godardienne ou même de contre-godardienne”, explique-t-il sans ambiguïté à Arielle Pélenc.
- Jeff Wall, Essais et entretiens, 1984-2001, École nationale supérieure des beaux-arts, coll. “Écrits d’artistes”?, 2001, 378 p, 18 euros, ISBN 2-84056-098-4.
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Moderne par les deux bouts
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°145 du 22 mars 2002, avec le titre suivant : Moderne par les deux bouts