Art ancien - Livre

MONOGRAPHIE

Maurice Quentin de La Tour, le « sel de l’esprit »

Par Marie Zawisza · Le Journal des Arts

Le 14 juin 2024 - 684 mots

Xavier Salmon, directeur du département des Arts graphiques du Louvre, dévoile dans une monographie l’œuvre du célèbre pastelliste du XVIIIe siècle.

Xavier Salmon. © Musée du Louvre / Florence Brochoire
Xavier Salmon.
© Musée du Louvre / Florence Brochoire

Il traite parfois ses amis « en vrai corsaire ». Et donne à la cour « des scènes ridicules ». Le portrait que livre Pierre-Jean Mariette, libraire et collectionneur d’estampes, de Maurice Quentin de la Tour, dont il admire la perfection des œuvres, est bien peu flatteur. Peut-être aussi lui est-il inspiré par sa rancune envers le pastelliste, dont il avait espéré obtenir un portrait, en vain. On pourrait s’étonner que cette description pour le moins percutante ouvre la monographie que Xavier Salmon, directeur du département des Arts graphiques du Louvre, consacre à ce pastelliste de génie, qui réalisa les portraits de toutes les célébrités du XVIIIe siècle, de Rousseau à la famille royale et Madame de Pompadour, en passant par son ami Chardin ou les grandes actrices de l’époque. Mais le ton est donné : ce magnifique ouvrage plonge le lecteur dans l’art de celui dont ses contemporains disaient qu’il captait le « sel de l’esprit », en même temps qu’elle fait rencontrer l’homme vibrant qu’il était et situe son œuvre dans l’art et la société du XVIIIe siècle, dont les protagonistes semblent prendre vie au fil des pages.

Du reste, celui qu’on nomme « le prince des pastellistes » n’était sans doute pas le rustre décrit par Mariette. Honnête homme généreux, cultivé, il s’était attaché à apprendre les mathématiques et la géométrie, avait appris le latin en autodidacte à l’âge de 40 ans, s’intéressait à la danse comme à l’astronomie, se piquait de poésie. S’il ne s’est jamais marié, il aimait les femmes, et était aimé d’elles en retour. « Peu s’en est fallu que je me laissasse embrasser », confie avec jovialité l’une de ses modèles, Isabelle de Zuylen, charmée par la conversation brillante de l’artiste. C’est l’une des anecdotes qui donne son sel à cet ouvrage qui en fourmille pour révéler la verve du portraitiste. Et pour cause : non seulement, Maurice Quentin de La Tour est l’auteur de nombreuses lettres, dans lesquelles il s’est livré, mais aussi ses contemporains ont également abondamment écrit sur lui.

Xavier Salmon, Maurice Quentin de la Tour, l'oeil absolu, 2024. © Cohen & Cohen
Xavier Salmon, Maurice Quentin de la Tour, l'oeil absolu, 2024.
© Cohen & Cohen

Pour composer son Maurice Quentin de La Tour, L’Œil absolu, le conservateur du Louvre s’est donc nourri de cette littérature comme il a étudié les œuvres, recherché celles qui étaient en mains privées, notamment dans celles des descendants des modèles (10 % du corpus de l’artiste), identifié des modèles, attribué certaines œuvres. Si un catalogue raisonné de La Tour a été récemment mis en ligne par l’historien de l’art irlandais Neil Jeffares, et si Xavier Salmon avait co-écrit un livre sur l’artiste en 2001 avant de lui consacrer une rétrospective au Château de Versailles, cette monographie de plus de 600 pages publiée aux éditions Cohen et Cohen, avec le soutien de la ville de Saint-Quentin, dont le musée des Beaux-Arts Antoine Lécuyer conserve une très importante collection d’œuvres du maître, s’avère le premier ouvrage ambitieux consacré à La Tour depuis 1928. Certaines œuvres sont publiées pour la première fois ; d’autres ne l’avaient été qu’en noir et blanc.

C’est donc avec intérêt que l’on redécouvre l’œuvre de La Tour, à travers plus de 500 illustrations en couleurs de très grande qualité. En observant les yeux lumineux de ses modèles, d’un réalisme presque anatomique, comme la délicatesse des dentelles, on s’émerveille du talent de celui dont on ne connaît que des œuvres au pastel. Cette technique lui permettait de travailler plus vite, pour saisir la vie et la psychologie des êtres – le « sel de l’esprit », pendant de courtes séances de poses durant lesquelles il ne cessait de parler pour saisir les expressions naturelles des portraiturés. Au fil des ans, on voit sa touche devenir plus heurtée pour retranscrire la vivacité d’esprit de certains modèles, alors même que nombre de ses contemporains préfèrent un rendu plus fondu. L’ouvrage le situe dans son temps, en évoquant ses précurseurs – Joseph Vivien ou Rosalba Carriera, pastelliste vénitienne de renom – comme ses amis et concurrents. Il capte, ainsi, l’esprit de cet artiste dont les œuvres ont éternisé la société brillante du XVIIIe siècle, comme la lave d’un Vésuve.

Maurice Quentin de La Tour, L’Œil absolu, Xavier Salmon,
Cohen & Cohen éditeurs, 600 p., 160 €.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°634 du 24 mai 2024, avec le titre suivant : Maurice Quentin de La Tour, le « sel de l’esprit »

Tous les articles dans Médias

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque