À partir de l’épisode pitoyable du suicide de Jean-Antoine Gros, cet ouvrage nous dresse le portrait sans ambages de la génération d’artistes post-napoléonienne.
Quatre ans après Ingres. La réforme des principes : 1806-1834 (Fage éditions), Marie-Claude Chaudonneret, chercheuse au CNRS, et Sébastien Allard, conservateur au Musée du Louvre responsable des peintures françaises du XIXe siècle, livrent une nouvelle étude sur les peintres de l’Empire, avec cette fois pour personnage principal le malheureux Jean-Antoine Gros. Le recours à la figure du personnage permet à cet ouvrage rédigé sous forme d’enquête de prendre des atours romanesques, voire cinématographiques. Le McGuffin (soit l’enjeu de l’histoire, pour user du terme cher à Sir Alfred Hitchcock) n’est autre que le suicide de Gros, le 25 juin 1835, à l’âge de 64 ans. Une mort déshonorante, pathétique même, que sa famille et ses proches ont eu tôt fait de camoufler. Pourquoi et comment le peintre, pépite prometteuse de l’atelier de Jacques-Louis David, en est-il arrivé là ? Pour tenter d’expliquer ce geste, les auteurs proposent une immersion dans une époque charnière ; celle qui relie l’effritement du colosse David – lorsqu’il est recalé au Concours des prix décennaux au profit de son élève Girodet en 1810 – à la consécration de son rival Jean-Auguste-Dominique Ingres au début des années 1830.
Auteur d’un seul tableau
Bien que talentueux à ses débuts, Gros apparaît dans l’ouvrage comme victime de sa personnalité – bourru, rigide et velléitaire – et de ses principes : la perpétuation de la vision davidienne. Parmi les quatre « G » (Gros, Guérin, Gérard et Girodet) qui formaient l’équipe des meilleurs élèves de l’illustre David, Gros est le seul à n’avoir pas su s’adapter au bouleversement politique de la chute de l’Empire, auquel correspond une mutation de l’enseignement académique des Beaux-Arts, promue par les étudiants eux-mêmes. L’idée d’école, qui associait le nom du maître à celui de son élève, avait fait long feu. Les jeunes peintres, aspirant à un succès rapide, privilégiaient les relations intergénérationnelles à une filiation souvent pesante, et se fiaient à l’opinion publique plutôt qu’à l’avis des vieux académiciens ; un désir d’émancipation que Guérin, fin pédagogue et professeur populaire, avait parfaitement compris. Gros n’a pas su non plus se faire stratège comme Gérard, qui, malgré son ascendance davidienne, est devenu Premier peintre du roi à force d’intelligence diplomatique et de bienveillance envers les peintres débutants – qu’il accueillait à bras ouverts pour mieux les amadouer. Malgré les encouragements d’un David exilé à Bruxelles, qui l’écrasaient manifestement plus qu’ils ne lui donnaient des ailes, Gros a enfin été incapable de proposer une version moderne de la peinture d’histoire. Les critiques négatives qui accueillirent son Hercule et Diomède au salon de 1835 achevèrent de le dépiter d’être l’auteur d’un seul tableau, le célèbre Bonaparte visitant les pestiférés de Jaffa (1804). Il est dommage que ces dernières critiques, précisément, n’aient pas bénéficié d’un traitement plus important, le récit se concluant de façon abrupte.
Gourcuff Gradenigo, Montreuil, 2010, 160 p., env. 60 ill. couleurs, 29 euros, ISBN 978-2-35340-090-4.
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Mais qui a tué Jean-Antoine Gros ?
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°340 du 4 février 2011, avec le titre suivant : Mais qui a tué Jean-Antoine Gros ?