En critique partial, le poète a nourri une précieuse correspondance
avec les artistes de son temps.
« Mon cher Apollinaire, j’ai le regret de ne pouvoir continuer à insérer vos articles rendant compte des expositions et des Salons. Je me suis montré plus que libéral aussi longtemps que possible, mais vous vous êtes obstiné à ne défendre qu’une école, la plus avancée, avec une partialité et un exclusivisme qui détonnent dans notre journal indépendant […]. La liberté que je vous ai laissée n’impliquait pas, dans mon esprit, le droit pour vous de méconnaître tout ce qui n’est pas futuriste. »
En mars 1914, la sentence tombe. Léon Bailby, directeur de L’Intransigeant, annonce à Guillaume Apollinaire (1880-1918), employé dans le grand quotidien du soir en qualité de critique d’art depuis 1910, qu’il met un terme à leur collaboration. Le texte de cette rupture est publié en préface de ce recueil de correspondances, compilé et annoté par Laurence Campa et Peter Read, tous deux spécialistes de l’œuvre du poète.
Aussi sévère soit le jugement du patron de presse sur le travail de son critique, les nombreux documents réunis ici, billets, cartes postales illustrées, télégrammes et lettres, pour la plupart inédits et conservés à la Bibliothèque nationale de France, témoignent sans ambiguïté de la partialité que pouvait avoir Apollinaire à l’égard des artistes. Cet ouvrage constitue donc un excellent contrepoint à ses Chroniques d’art, éditées depuis 1960 par le même éditeur.
Apollinaire fréquente dès 1903 l’avant-garde artistique de son époque : Picasso, qui fait partie de son cercle rapproché, mais aussi Derain ou Vlaminck. Une fois devenu critique d’art patenté, le poète fait l’objet de multiples sollicitations. Sa collection, riche d’œuvres de ses proches mais aussi de toiles de Chirico, Gontcharova ou de dessins de Matisse, a été constituée grâce aux nombreux cadeaux, qui ont fait d’Apollinaire, proche du marchand d’art Paul Guillaume, l’un des tout premiers collectionneurs d’art du XXe siècle. De 1903 à 1918, année de sa mort, les échanges avec les créateurs ont été innombrables, parfois futiles, parfois intimes. Ainsi de la littérature épistolaire échangée avec Marie Laurencin, sa maîtresse, avec qui il restera intime même après leur rupture, en 1912. Un basculement s’opère toutefois avec la guerre.
« Splendides émotions »
Envoyé sur le front, Apollinaire continue à correspondre avec ses amis, dont certains se trouvent, comme lui, engagés au combat. « Je voudrais à vous plus qu’à quiconque faire part des splendides émotions que m’a procurées déjà cette guerre, lui écrit André Derain en 1915. Les amis goguenards sont restés à Paris les mêmes. Mais je crois nos âmes à nous bouleversées par ce tragique journalier à qui l’on s’accoutume sans qu’il cessât jamais. La mort des amis et l’ennui des champs de bataille. » Blessé à la tempe près du Chemin des Dames, en 1916, Apollinaire devra subir une trépanation dont il se remettra difficilement, avant de disparaître, en 1918, emporté par la grippe espagnole. Sa correspondance tisse aussi le récit de cette fulgurance.
Guillaume Apollinaire, Correspondance avec les artistes, 1903-1918, édition établie, présentée et annotée par Laurence Campa et Peter Read, éd. Gallimard, 2009, 944 p., 35 euros, ISBN 978-2-0707-8404-2
Guillaume Apollinaire, Chroniques d’art, préface de L.-C. Breunig, éd. Gallimard, réédition 1993, 528 p., 10 euros, ISBN 978-2-0703-2753-9
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L’œil et la plume d’Apollinaire
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°323 du 16 avril 2010, avec le titre suivant : L’œil et la plume d’Apollinaire