« La différence existe, l’altérité se construit. » Denis Bruna [Tsiganes, premiers regards. Craintes et fascination dans la France du Moyen Âge, éditions Fage, 240 p., 28 €] et Victor I. Stoichita [L’Image de l’Autre. Noirs, Juifs, Musulmans et « Gitans » dans l’art occidental des Temps modernes, Hazan/Louvre éditions, 277 p., 25 €] proposent, chacun de leur côté, deux études sur l’apparition de l’Autre dans les images occidentales, à la fin du Moyen Âge pour l’un, à l’orée des temps modernes pour l’autre. Les deux auteurs adoptent une démarche et un propos essentiellement différents.
Stoichita se pose en « historien des images » ayant pour but « d’approcher la Rencontre [entre l’Autre et le Même] telle qu’elle se produit sous le signe du visible » et non dans le discours. Bruna fait, lui, œuvre d’historien en allant « vers les textes de l’époque : les chroniques, les sauf-conduits et plus encore les comptes urbains et les délibérations des communes ». « Juifs, bohémiens, Noirs et musulmans. Voilà les quatre figures de l’altérité qui feront l’objet de ma réflexion […]. Il s’agit ici d’une nécessité, imposée par la formation à l’aube des temps modernes de ce que j’aimerais désigner comme “l’iconosphère de la différence” […]. Dans ce processus, le questionnement du relativement proche l’emporte sur celui du extrêmement lointain. C’est “l’étranger intérieur”, et non pas le “différent extérieur”, qui préoccupe et intéresse », souligne Stoichita. Même postulat de départ pour Bruna, qui concentre son étude sur les Tsiganes : « Ce sont les étrangers eux-mêmes qui se présentent aux Occidentaux […]. Désormais, l’ailleurs et l’Autre sont à domicile. » En revanche, le Juif, présent depuis toujours dans la tradition chrétienne, vient, dans l’étude de Stoichita, appuyer la thèse de l’auteur sur « la multiplicité et la complexité de la présence des Autres dans l’imaginaire occidental qui font éclater l’image simpliste d’un Autre – miroir unique ». Les mêmes multiplicité et complexité dans l’image du Tsigane apparaissent, chez Bruna, entre assimilation, fascination et crainte envers celui qui se présente comme un chrétien venu d’Égypte. D’abord intégré par comparaison à des figures bibliques (« la fille de Pharaon, le peuple de Moïse […] et parfois même la mère du Christ »), il exerce fascination puis finalement une crainte incarnée dans La Diseuse de bonne aventure d’un Caravage, symbole de tromperie, de tricherie et de perversion. « Bref, le XVe siècle a inventé le Tsigane » ! Ces deux brillantes études historiques ont des accents violemment contemporains.
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L’invention de l’Autre
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°677 du 1 mars 2015, avec le titre suivant : L’invention de l’Autre