Faut-il relire Hippolyte Taine (1828-1893) et
sa Philosophie de l’art (1865) ? Une série de conférences prononcées au Louvre et publiées aujourd’hui tente de restituer sa complexité à une pensée souvent caricaturée, et à
en mesurer l’influence
non seulement sur les contemporains, et notamment les artistes, mais aussi sur
la genèse de l’histoire de l’art en France.
En 1886, dans son Petit Bottin des Lettres et des Arts, le critique Félix Fénéon écrit ceci à la rubrique “Taine (Hippolyte)” : “Applique dans l’histoire littéraire les procédés de la science agronomique. D’un pays étudie la nature du sol, la topographie, le climat, puis se représente une génération d’artistes comme une poussée de cèpes, de betteraves, de sycomores et de choux de Bruxelles.” Auteur de Philosophie de l’art (1865) et De l’idéal dans l’art (1867), mais aussi des Origines de la France contemporaine, Taine, enseignant à l’École des beaux-arts, insistait en effet “sur les rapports de l’art et des mœurs, et donc sur la nécessité d’une approche historique des œuvres, rappelle Antoine Compagnon : c’est la fameuse triade de la race, du milieu et du moment, comme ‘puissances agissantes’ sur le système de pensée d’un homme et ‘causes du mouvement’ historique des civilisations”. Pourquoi relire Taine aujourd’hui et sa philosophie apparemment tombée en désuétude ? “Pour une part comme témoin et symptôme de son temps, pour une autre comme celui qui contribua en France à constituer un discours, celui de l’histoire de l’art, des civilisations, de la littérature et le discours de l’histoire tout court”, répond Yves Michaud dans sa conférence. Ainsi que le montre Antoine Compagnon, “comme apologétique du canon, l’esthétique de Taine, malgré son titre, n’est pas une philosophie de l’art, mais une philosophie de l’histoire de l’art, ou ‘une esthétique de la réception’”. Mais “on a le sentiment que Taine inaugure une histoire de l’art livresque et littéraire, sans art et sans œuvres, une histoire de la civilisation et de la culture qui ressaisit l’esprit du temps sans entrer dans le détail de ses manifestations et plus encore de leur système”, estime Yves Michaud. D’après lui, “la plupart des livres d’histoire de l’art sont aujourd’hui encore de la même veine”.
Pourtant, cette histoire de l’art qui se veut une reconstruction globale des moments saillants de notre civilisation rencontre dans l’œuvre de Taine une théorie de la connaissance édifiée à partir des phénomènes de l’hallucination. Cette corrélation établie par Paolo Tortonese constitue la contribution la plus stimulante de ce recueil, et rapporte les conceptions du philosophe aux recherches psychiatriques menées notamment par Charcot. “L’hallucination apporte le grossissement espéré du jeu secret entre perception et image”, note Tortonese.
Des entorses à une démarche proprement historique, Michael F. Zimmermann en met d’autres en évidence dans un texte justement intitulé “L’histoire sans histoire”. Il s’attache à montrer comment les époques, et plus particulièrement l’Antiquité grecque, sont repeintes par Taine aux couleurs du genre poétique de l’idylle, une vision anhistorique inspirée de Winckelmann, via Quatremère de Quincy. Cette référence à l’idylle lui permet de faire le pont entre la pensée de Taine et les deux œuvres de Georges Seurat, Une baignade, Asnières et Un dimanche à l’île de la Grande Jatte, elles-mêmes fortement marquées par l’art de Puvis de Chavannes. À défaut de relire Taine, on trouvera dans ce volume quelques textes du philosophe, et surtout une solide analyse de sa pensée, de ses tensions et de ses contradictions.
- Antoine Compagnon, Paolo Tortonese, Yves Michaud et Michael F. Zimmermann, Relire Taine, éd. Musée du Louvre/École nationale supérieure des beaux-arts, 220 p., 22 euros. ISBN 2-84056-090-9.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
L’esprit du temps
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°145 du 22 mars 2002, avec le titre suivant : L’esprit du temps