Le Suisse Ruedi Baur analyse dans un nouvel ouvrage la mise en forme, en texte et en image des réglementations juridiques dans plusieurs pays d’Europe.
Ce n’est pas Le Petit Livre rouge de Mao, mais le gros livre blanc de Ruedi Baur. Un pavé façon dictionnaire qui résulte d’un projet de recherche de cinq années que le graphiste suisse a mené à la fois à l’Académie des arts visuels (Hochschule für Graphik und Buchkunst) de Leipzig (Allemagne) et à la Haute école d’art et de design (Institut de recherche Design2context) de Zurich (Suisse). « Lors de mes différents séjours à Leipzig, où j’ai été nommé, en 2000, recteur de l’Académie des arts visuels, j’ai pu observer le processus de transformation de l’ex-Allemagne de l’Est, raconte Ruedi Baur. La RDA reprenait petit à petit l’esthétique des autres régions allemandes, comme si elle cherchait à devenir invisible dans la nouvelle entité. J’ai alors suggéré à un élu [de Leipzig] d’interdire les automatismes. Pourquoi, par exemple, la chaussée devait-elle être forcément noire et non pas rouge ? Pourquoi ne se pose-t-on pas d’abord la question de la couleur de la chaussée, au lieu de commencer par s’interroger sur son prix ? L’élu n’a pas du tout compris ma problématique… » D’où ce livre, un ouvrage collectif en réalité, coordonné par Ruedi Baur et baptisé La Loi et ses conséquences visuelles. Comme son titre l’indique, celui-ci se penche sur la réglementation juridique et le droit de quelques pays européens (France, Allemagne, Suisse…), et observe leurs traductions visuelles dans l’espace urbain. Le sujet est assurément intéressant, sans doute un peu vaste.
L’ouvrage est réversible. Côté pile, le poids des mots. Côté face, le choc, ou presque, des photos. Mais avant d’être un livre, c’est d’abord un bel objet. Au fil des pages se déroule en effet tout un travail sur la typographie et sur la présentation des textes. Selon l’un des huit contributeurs, le juriste et psychanalyste Pierre Legendre, il s’agit d’« une approche de la problématique de l’objet-livre défini non simplement comme un recueil de communications, mais comme un théâtre – scène et coulisses – de lettres, un espace d’interrogation ». Le postulat le plus réjouissant étant celui de « viser, peut-être, un rapport analogique entre la teneur du texte et sa traduction graphique […], de témoigner du jeu qui, toujours, s’instaure entre le texte comme message et le texte comme texture […], de rendre compte du corps de la lettre comme épaisseur de sens ». En théorie, l’intention est louable. En pratique, cela se corse un peu. En particulier côté textes, où le traitement graphique rend, par moments, la lecture pénible. Si la contribution d’Elisabeth Blum, « La ville comme plastique sociale », nous permet de voir comment se déploie une typographie dont le corps – l’épaisseur de la lettre – varie du simple au triple, les quelques lignes rédigées dans la version la plus petite sont quasi illisibles. Autre exemple : le texte de Bernard Edelman, « De l’image comme réalité », court de la page de gauche (verso) à la page de droite (recto) comme si les deux pages ne faisaient qu’une. Difficile à suivre lorsque les yeux sont habitués à lire un livre page après page. Les propos d’Edelman se révèlent pourtant des plus instructifs, décortiquant les distorsions entre la réalité et son image, ainsi que les divers usages qui en sont faits. Comme est passionnante « Une écriture divinatoire », analyse de l’ethnographe Michel Cartry parti étudier chez les Gourmantché, au Burkina Faso, de quelle façon les devins usent du sable, ou plus exactement de la « peau de sable, comme support privilégié de l’écriture ».
La partie iconographique, elle, ressemble à un album de photographies dans lequel tout aurait été compilé en vrac. On y retrouve notamment une sélection de pictogrammes choisis à travers la signalétique urbaine européenne. Dans la ville, cette dernière organise les flux, les mouvements. Elle peut susciter tour à tour de l’angoisse ou de l’apaisement. Elle génère aussi ses propres bizarreries : ainsi, pour symboliser l’interdit, la loi a généralement recours au signe de la croix. Or ce même signe, dans un autre contexte, signifiera la validation. Bref, chaque thème abordé recèle, en filigrane, une occasion de s’interroger : « La prolifération à outrance de la signalétique de la catastrophe ne sert-elle pas obscurément à conjurer le sort ? », ou encore, « Pour chacune des nouvelles réglementations d’un pays, est-il légitime de se demander à qui cela profite ? » Ces questions, certes judicieuses, restent malheureusement sans réponses. Dommage !
LA LOI ET SES CONSÉQUENCES VISUELLES, collectif, bilingue français et allemand, éditions Lars Müller, Baden (Suisse), 2005, 608 pages, 40 euros, ISBN 3-03778-043-6.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Les lois et leurs interprétations graphiques
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°233 du 17 mars 2006, avec le titre suivant : Les lois et leurs interprétations graphiques